Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont-elles aussi impossibles que le disent les polygénistes ? Pour se convaincre du contraire, il suffit de jeter les yeux sur la carte. Dès le siècle dernier, Buffon avait parfaitement compris combien le passage devait être facile d’Asie en Amérique par le détroit de Behring, La connaissance de plus en plus complète de ces mers et des races qui en peuplent les rivages ont confirmé jusqu’à l’évidence cette opinion, qui put alors paraître hardie. Pickering, l’un des membres de la commission scientifique qui fit partie du voyage d’exploration entrepris aux frais des États-Unis par le capitaine Wilkes, se demande où commencent et où finissent l’Asie et l’Amérique, et en effet le navigateur qui, longeant les îles Aléoutiennes, se rend du Kamtchatka à la presqu’île d’Aliaska doit être bien embarrassé pour déterminer la limite des deux continens. Le peuplement de l’Amérique par le nord-ouest fut donc très aisé. Au nord-est, par l’Islande et le Groenland, les immigrations d’Europe en Amérique n’étaient guère plus difficiles.

Mais ce n’est pas sur ces deux points seulement que le peuplement du Nouveau-Monde a dû s’effectuer. On connaît aujourd’hui, bien mieux qu’il y a quelques années, la marche et la complication des mouvemens de l’atmosphère et des mers. Là où nos prédécesseurs n’avaient vu que le grand courant équatorial, allant uniformément de l’est à l’ouest, nous savons qu’il existe des contre-courans dirigés en sens contraire ; nos marins ont découvert de nouveaux fleuves coulant au sein des mers, et en particulier ils ont retrouvé dans l’Océan-Pacifique un second gulf stream qui, passant au sud du Japon, se dirige vers l’Amérique, comme le premier va de Terre-Neuve aux côtes de l’ancien monde. Le courant de Tesson[1] a conduit sur les côtes de la Californie des jonques abandonnées[2], comme le gulf stream avait jeté sur la plage des Açores ces fruits, ces poutres travaillées, ces canots chavirés qui, dit-on, portèrent dans le cœur de Colomb la conviction qu’il existait un autre monde. Ce courant, s’il a été connu d’une nation de navigateurs, a pu et dû conduire les flottes d’Asie en Amérique, comme il a pu et dû entraîner en Californie les embarcations imparfaites des peuples moins habiles à lutter contre la mer. Enfin le grand courant équatorial atlantique a fort bien pu amener dans l’Amérique méridionale et dans le golfe du Mexique un certain nombre d’hommes enlevés aux côtes d’Afrique ; mais ces derniers faits ont dû être en tout cas assez rares, car la plupart des populations littorales africaines paraissent s’être fort peu livrées à la navigation.

  1. Ce grand courant a reçu à juste titre le nom de courant de Tessan, du nom du savant hydrographe qui en a constaté l’existence dans le voyage qui, accompli sous la direction du capitaine Duperrey, a rendu à la science les services les plus signalés.
  2. Hamilton Smith, Morton et Pickering en citent des exemples.