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gereuse en poussant à bout la classe ouvrière, il entrevit l’unique chance de salut aux lueurs encore douteuses de la science qu’il cultivait : c’était une marche en sens inverse de celle qu’on avait suivie, un retour vers la liberté commerciale. Le moyen qu’il adopta pour mettre le problème à l’ordre du jour fut d’adresser au parlement une pétition sur la souffrance du commerce ; mais il fallait pour cela qu’un certain nombre de signatures recommandables ajoutassent au poids de la sienne. Ceux de ses confrères qu’il supposait préparés à le comprendre étaient en bien petit nombre dans la Cité. Ce ne fut pas sans peine qu’il détermina quelques-uns d’entre eux à l’écouter ; il fut même convenu qu’on éviterait le retentissement d’un meeting public, et que la conférence aurait lieu dans un dîner sous forme de conversation entre amis.

Le 21 janvier 1820, une dizaine de négocians se trouvaient attablés dans une des tavernes adoptées pour les réunions du haut commerce. Thomas Tooke expose ses idées, il est chaleureusement applaudi ; mais hélas ! après le repas, chacun des convives, le tirant à l’écart pour le féliciter, lui propose, comme amendement au programme, quelque mesure en faveur de son propre négoce, quelque obstacle à l’activité d’autrui. Le promoteur de la réunion fut obligé de s’avouer qu’il n’avait pas même été compris par ceux qu’il avait choisis comme ayant quelque teinture des doctrines d’Adam Smith. Il avait remarqué en outre chez la plupart de ses auditeurs l’appréhension de déplaire au ministère tory en provoquant un mouvement d’idées. Il fallait dissiper ce scrupule ou renoncer au concours de ses confrères. Il prit donc à tâche de sonder les dispositions du pouvoir. L’intensité de la crise commerciale jetait sur l’ensemble de la politique une teinte sinistre. Le chef du cabinet, lord Liverpool, fort inquiet sans doute, accueillit ce projet de pétition, qui allait lui fournir le prétexte d’une enquête parlementaire, moyen assez en usage pour ajourner les difficultés. Dès que les dispositions du premier ministre furent connues, le gouverneur et la plupart des directeurs de la banque d’Angleterre, qui avaient d’abord refusé leur concours, s’empressèrent de signer la pétition ; les notables de la Cité vinrent d’eux-mêmes offrir leurs noms, et probablement sans mesurer la portée de l’acte auquel ils adhéraient.

Cette fameuse pétition des marchands de Londres fut présentée à la chambre des communes, le 8 mai 1820, par M. Alexandre Baring (lord Ashburton), et à la chambre haute par lord Lansdowne. Ce n’était qu’un résumé abstrait des axiomes économiques sur les phénomènes de l’échange : on y exposait en termes généraux les inconvéniens du système restrictif, et, sans signaler aucun fait d’application, on concluait en sollicitant une réforme douanière en harmonie