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économique a si bien équilibré les forces sociales et si bien distribué les rôles utiles que les classes, quoique toujours diversifiées, en sont arrivées à ne plus se suspecter, à ne plus se craindre ? Heureuse Angleterre, où l’on ne connaît plus cette peur des révolutions, ce vague malaise des pays continentaux, semblable à ce qu’on éprouve au lendemain des grandes catastrophes, en voyant la tourmente du sol et l’affaissement des édifices !

Au point de vue du public consommateur, les changemens introduits par M. Gladstone dans son budget de 1860 ont eu pour effet d’atténuer d’à peu près 80 millions de francs le fardeau des contributions indirectes. Quant aux moyens de compensation, ils sont assez vaguement indiqués. Le ministre sait par expérience que l’équilibre se rétablira infailliblement. La réforme à ses yeux est une œuvre de salut, et il est malséant de trop compter quand on rend un grand service. Une magnifique péroraison nous montre les rois des anciens temps, dans leurs jours de fête et de largesse, faisant jeter sur leur passage l’argent à pleines mains dans la foule. « C’était peut-être un intéressant spectacle, s’écrie l’orateur, mais un spectacle plus beau encore et plus digne de notre siècle est de voir un souverain s’aidant des lumières de son peuple réuni en parlement répandre parmi ses sujets des bienfaits, sous forme de lois sages et prudentes qui ne sapent en aucune façon les fondemens du devoir, mais qui, en affranchissant l’industrie de ses chaînes, vont procurer de nouveaux stimulans et de nouvelles récompenses au travail. »

Un point sur lequel M. Gladstone insiste très judicieusement, c’est que les réformes commerciales auxquelles l’Angleterre doit sa pacification intérieure « n’ont cependant pas été accomplies au profit des masses populaires seulement, mais au profit de toutes les classes, au profit du trône et des institutions du pays. » Enfin le principe souverain auquel l’Angleterre conforme actuellement son économie intérieure, et souvent même sa politique internationale, semble se dégager du tâtonnement empirique et arriver à sa formule rationnelle dans ces derniers mots de M. Gladstone : « Vous allez répandre le bien-être dans le pays et sous la meilleure forme, car vous ne forgez pas pour les hommes des appuis mécaniques qui vous fassent faire à leur place ce qu’ils doivent faire par eux-mêmes ; mais vous étendez leurs ressources, vous donnez l’essor à leur aptitude, vous faites appel au sentiment de leur responsabilité, et vous n’affaiblissez pas celui d’une honorable indépendance. »

Je ne considère pas comme achevée la transformation économique de la société anglaise, mais elle a été poussée assez loin, les résul-