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être. — Mais ce qu’ils appellent raison ou intuition des principes n’est que la puissance de bâtir des hypothèses. — Peut-être. — Mais les systèmes qu’ils ont arrangés n’ont pas tenu devant l’expérience. — Je vous abandonne leur œuvre. — Mais leur absolu, leur sujet, leur objet et le reste ne sont que de grands mots. — Je vous abandonne leur style. — Alors que gardez-vous ? — Leur idée de la cause. — Vous croyez, comme eux, qu’on découvre les causes par une révélation de la raison ? — Point du tout. — Vous croyez comme nous qu’on découvre les causes par la simple expérience ? — Pas davantage. — Vous pensez qu’il y a une faculté autre que l’expérience et la raison propre à découvrir les causes ? — Oui. — Vous croyez qu’il y a une opération moyenne, située entre l’illumination et l’observation, capable d’atteindre des principes comme on l’assure de la première, capable d’atteindre des vérités comme on l’éprouve pour la seconde ? — Oui. — Laquelle ? — L’abstraction. Reprenons votre idée primitive ; je tâcherai de dire en quoi je la trouve incomplète, et en quoi il me semble que vous mutilez l’esprit humain. Seulement il faudra que vous m’accordiez de l’espace ; ce sera tout un plaidoyer.


Votre point de départ est bon : en effet, l’homme ne connaît point les substances ; il ne connaît ni l’esprit ni le corps ; il n’aperçoit que ses états intérieurs tout passagers et isolés ; il s’en sert pour affirmer et désigner des états extérieurs, positions, mouvemens, changemens, et ne s’en sert pas pour autre chose. Il n’atteint que des faits, soit au dedans, soit au dehors, tantôt caduques quand son impression ne se répète pas, tantôt permanens quand son impression, maintes fois répétée, lui fait supposer qu’elle sera répétée toutes les fois qu’il voudra l’avoir. Il ne saisit que des couleurs, des sons, des résistances, des mouvemens, tantôt momentanés et variables, tantôt semblables à eux-mêmes et renouvelés. Il ne suppose des qualités et propriétés que par un artifice de langage, et pour grouper plus commodément des faits. Nous allons même plus loin que vous : nous pensons qu’il n’y a ni esprits ni corps, mais simplement des groupes de mouvemens présens ou possibles, et des groupes de pensées présentes ou possibles. Nous croyons qu’il n’y a point de substances, mais seulement des systèmes de faits. Nous regardons l’idée de substance comme une illusion psychologique. Nous considérons la substance, la force et tous les êtres métaphysiques des modernes comme un reste des entités scolastiques. Nous pensons qu’il n’y a rien au monde que des faits et des lois, c’est-à-dire des événemens et leurs rapports, et nous reconnaissons comme vous que toute connaissance consiste d’abord à lier ou additionner des faits. Mais cela