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c’est le seul où le président ait la chevalerie d’avertir l’accusé qu’il n’est point tenu de déposer contre lui-même, et où il lui dise en quelque sorte : « Garde-toi ; c’est moi qui t’attaque, c’est à moi de prouver ce que je te reproche. » C’est le seul où l’accusateur public ne se permette pas d’en appeler à d’anciennes fautes pour obtenir indirectement, et sans preuves suffisantes, le succès de son accusation. Aussi l’Angleterre a-t-elle trouvé une méthode judiciaire qui n’est pas seulement un moyen de faire tomber le châtiment sur la tête des criminels, mais qui garantit encore d’autres intérêts sociaux non moins précieux : le respect de l’équité, la sûreté de l’innocence, et la liberté du citoyen.

Le système pénitentiaire de l’Angleterre, et plus particulièrement celui de l’Irlande, nous offre quelque chose d’analogue : c’est le châtiment éclairé et dirigé par un sentiment de bienveillance, par un sincère désir de contribuer au bien du prisonnier. Il ne s’agit pas de cette philanthropie qui prétendrait substituer l’intention de convertir à l’intention de punir. Il n’y a pas progrès quand une pensée n’entre dans l’esprit que pour en chasser une autre, pas plus qu’il n’y a liberté quand un pouvoir nouveau renverse celui de la veille pour régner seul à sa place. Après n’avoir songé qu’à châtier, si on ne songe qu’à réformer, on n’aura point avancé, on aura seulement changé de route ; au lieu d’un système pénal qui réprimait sans rien faire pour amender et même sans craindre de dégrader, on aura un système d’éducation forcée qui, en visant à améliorer, ne donnera aucune satisfaction au sentiment de la justice et au besoin de réprimer par l’exemple. Le vrai progrès, c’est d’apprendre sans oublier : c’est d’apporter à la solution d’une question plusieurs pensées qui tiennent compte l’une de l’autre, c’est de chercher à punir en se gardant de dégrader, et de s’appliquer autant que possible à réformer sans cesser de frapper la faute d’une peine qui puisse servir de menace et qui entretienne chez tous le sentiment que tout méfait doit se payer ; mais peut-être ces conditions ne sont-elles pas également faciles à remplir dans tous les pays. Avec des codes ou des règlemens conçus d’un seul coup, avec un régime de centralisation sous lequel tout est décidé par un ministre qui n’exécute pas, tandis que tous ceux qui exécutent ne peuvent rien décider, il est presque impossible d’éviter la monomanie dans les méthodes. Le système irlandais au contraire a grandi peu à peu comme un arbre ; il a été suggéré par les circonstances, préparé par un concours d’idées qui ne pouvaient venir qu’à des esprits différens, modifié sous l’empire de plusieurs préoccupations qui ne pouvaient régner à la fois, et en dernier lieu c’est un homme d’expérience et de cœur, le capitaine Crofton, qui a terminé l’œuvre en ajoutant sa pensée individuelle à celle du parlement.

Le principe de l’emprisonnement cellulaire, comme celui du travail forcé pour l’état en Angleterre, à Gibraltar ou aux Bermudes, s’était déjà développé sous le régime de la déportation, et la facilité avec laquelle les libérés trouvaient à s’employer en Australie avait aussi suggéré l’idée des billets de tolérance (ticket of leave). — Le billet de tolérance, c’est la libération révocable que le pouvoir est autorisé à accorder, avant l’expiration de la peine, aux condamnés qui s’en montrent dignes. — Plus tard, quand les