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ce moyen d’élever, d’élargir, de diversifier leur style. La liste des essais en ce genre, des toiles dépassant le patron ordinaire, n’est pas longue à dresser. Cinq ou six au musée d’Amsterdam[1], deux au musée de La Haye[2], voilà le compte exact de la grande peinture hollandaise, voilà ce qu’a laissé son âge d’or, le XVIIe siècle, non-seulement en Hollande, mais dans le monde entier. Quel singulier contraste avec la Flandre, qui, vers la même époque, ne se peuple que de grands tableaux, et qui voit son école prête à outrepasser les proportions de la nature plutôt qu’à rester en-deçà ! Le style décoratif est l’écueil de ses peintres : ils cherchent le grandiose et tombent dans l’enflure ; ils négligent, ils dédaignent les petites surfaces, et la peinture de chevalet tomberait presque en décri, surtout après la mort des Breughel, s’il ne lui survenait un vigoureux soutien, un de ces champions qui valent une armée, le plus piquant, le plus fécond des peintres. Téniers, en compagnie de tous ces grands Flamands, semble un enfant perdu, ou, pour mieux dire, un émigré ; il s’est trompé de patrie, c’est un Hollandais déplacé : non que par l’esprit et par la touche il ne procède de Rubens bien plus directement que de Terburg ou de Metsu ; non que dans sa gaieté il y ait la moindre trace soit des grimaces des Ostade, soit des trivialités de Jean Steen ; mais, tout Flamand qu’il est, il voit, comprend et mesure les choses à l’échelle hollandaise : son théâtre est brillant, son drame est plein de vie, mais il ne donne à ses acteurs que la taille de marionnettes.

D’où vient donc, je me le demande encore, d’où vient chez tous ces Hollandais, chez la nation comme chez les peintres, cette prédilection pour les petites toiles, cet amour de la nature réduite,

  1. J’en compte six, parce qu’il est juste d’ajouter aux deux Rembrandt, aux deux van der Helstet au Karel du Jardin, un grand Govaert Flinck, exécuté comme le Banquet de van der Helst en commémoration de la paix de Munster. Quant aux Corncliszen de Harlem et autres peintres du XVIe siècle, je n’en parle pas, puisqu’ils sont antérieurs à l’art hollandais proprement dit.
  2. De ces deux tableaux du musée de La Haye, l’un n’est pas beaucoup plus grand qu’un grand tableau de chevalet ; mais je le cite parce que les figures, vues, il est vrai, seulement à mi-corps, sont de grandeur naturelle. C’est le chef-d’œuvre de la jeunesse de Rembrandt, une scène peu attrayante et pourtant justement célèbre, la Leçon d’anatomie. L’autre tableau est une tentative que le succès absout sans qu’on doive en recommander l’exemple. C’est l’application du principe de la grandeur naturelle non plus à l’homme seulement, mais aux bestiaux. Pendant que ses compatriotes se faisaient tant prier pour donner à l’espèce humaine sa grandeur véritable, Paul Potter s’amusait à rendre cet hommage aux vaches et aux taureaux. À mesure qu’on descend dans l’échelle des êtres, la grandeur naturelle devient moins nécessaire. Appliquée aux arbres et aux rochers, elle serait absurde et impossible. Pour le règne animal lui-même, l’homme excepté, elle est d’une utilité et d’un effet très contestables ; mais Paul Potter n’en a pas moins fait un merveilleux chef-d’œuvre.