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On ne voit dans le Grand-Lac ni poissons ni mollusques ; la vie n’y est représentée que par une algue de la tribu des nostochs et un petit ver qui fouille çà et là le sable des plages. Les truites entraînées dans ses eaux par le Jourdain périssent aussitôt. En revanche, la surface du lac donne l’hospitalité à d’innombrables bandes de mouettes, d’oies sauvages, de cygnes et de canards. En aucune autre partie de l’Amérique, si ce n’est peut-être sur les eaux tranquilles du Potomac, on ne voit pareilles flottes de volatiles. Des armées de petits pélicans, gardés par de vieux surveillans écloppés, contemplent les flots du haut de toutes les corniches des rochers, tandis que les parens vont à la pêche dans les rivières poissonneuses de l’Ours, du Weber ou du Jourdain. Aucun arbre ne croît sur les bords du lac ni dans les plaines adjacentes ; on n’aperçoit au loin que des touffes d’armoise (artemisia) et d’autres plantes qui se plaisent dans le sol imprégné de substances salines. La ligne de séparation entre l’eau et la terre est le plus souvent indécise ; on ne sait où commence la plage, où finit le lac, tant le rivage offre de bancs vaseux sur lesquels l’eau s’étale en minces nappes et promène son écume floconneuse. En été, la boue des plages se dessèche au soleil et s’écaille en feuillets qui ont l’apparence du cuir ; des miasmes sulfureux s’échappent des lézardes du sol et répandent dans l’air une odeur intolérable.

Excepté au nord, où une chaîne de montagnes projette dans le Grand-Lac-Salé une péninsule rocheuse, la mer intérieure est bordée de plages de cette nature. À l’ouest, de vastes plaines, presque aussi unies que la surface de l’eau, s’étendent entre le lac et une rangée de montagnes éloignées. Pendant quelques mois d’été, ces plaines, que traversent des ruisseaux salés et sulfureux, se couvrent d’une immense nappe de sel cristallin que fendillent d’innombrables rides produites par l’expansion du sel : on dirait la surface des eaux se plissant sous la brise. La caravane du capitaine Stansbury parcourut pendant soixante heures, et sans trouver une goutte d’eau potable, une série de plaines de cette nature. Un des champs de sel avait 20 kilomètres de long sur 12 kilomètres de large, et représentait une masse d’au moins 4 millions de mètres cubes. Dès que la pluie tombe, ou même simplement lorsque l’air se charge d’humidité, le sel devient déliquescent, et l’on ne voit plus qu’une étendue d’argile noirâtre où les bêtes de somme enfoncent à chaque pas.

Autrefois le Grand-Lac-Salé avait une superficie beaucoup plus considérable. Les bassins parallèles du plateau d’Utah, les vallées latérales qui viennent y aboutir, étaient autant de golfes, de baies et de détroits de la mer intérieure. Partout on aperçoit, à une grande hauteur au-dessus du niveau actuel du lac, d’anciennes plages d’al-