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possèdent comme on possède un troupeau, ils deviennent très chatouilleux sur le chapitre de leurs droits de seigneurs ; ils cherchent, vis-à-vis de l’étranger, à faire planer un certain mystère sur l’intérieur de leur ménage et sur tout ce qui leur appartient ; ils mettent entre eux et le monde des gentils l’infranchissable barrière de leur égoïsme. Les femmes sont la plus sainte, la plus précieuse des propriétés, et tout homme qui a séduit la femme, la fille ou la sœur d’un mormon, doit périr par la main même de l’homme outragé. Les saints n’hésitent pas à dire qu’ils puniront de mort toute infraction aux mœurs, lorsque le territoire d’Utah sera constitué en état souverain et libre de décréter ses propres lois. Il est vrai que le divorce est permis et fréquemment pratiqué : c’est là un fait qui rapproche la polygamie mormone de la promiscuité. M. Remy parle d’une sainte qui aurait été mariée six fois, et dont quatre époux vivaient encore.

Ainsi que les lois de la statistique pouvaient le faire prévoir, la polygamie a produit des résultats opposés à ceux qu’en attendaient les mormons. La population n’augmente pas aussi rapidement qu’elle le ferait si chaque saint se contentait d’une seule femme et si tous les célibataires d’Utah étaient mariés[1]. Les sérails des mormons polygames offrent en proportion beaucoup moins d’enfans que les log-houses des pionniers américains. Nombre de saintes mariées trop tôt sont stériles ou peu fécondes ; en outre la mortalité sévit d’une manière effrayante sur les enfans nouveau-nés, elle est même plus considérable que dans les états les plus malsains de l’Amérique du Nord. Le pape Brigham Young avait déjà épousé cinquante femmes en 1855, et l’année précédente il lui était né neuf enfans dans une même semaine. On ne sait pas le chiffre de tous ceux qu’il a eus ; mais il ne lui en reste plus qu’une trentaine. On remarque aussi qu’en Utah, comme dans les harems de Turquie, il naît beaucoup plus de filles que de garçons, tandis qu’on observe le résultat contraire dans les pays où la famille est monogame. Cependant les enfans mormons qui survivent sont beaux et robustes.


III. — l’état social des mormons.

En parcourant la capitale des saints, M. Jules Remy ne pouvait se lasser d’admirer l’ordre qui règne partout, le bien-être qu’annon-

  1. À la fin de 1858, on comptait sur le territoire 3,617 maris polygames, dont 1,117 ayant cinq femmes ou davantage ; mais un grand nombre de mormons n’avaient encore pu trouver d’épouses : il est probable même que le chiffre des hommes dépasse celui des femmes, comme dans tous les pays peuplés d’émigrans. L’équilibre entre les sexes n’est pas encore établi.