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n’était plus qu’une sorte de fiction consentie qui s’évanouirait au premier souffle. À sa seule approche, l’insurrection éclatait, les hommes couraient aux armes, les montagnes descendaient dans les plaines ; devant, derrière les soldats royaux, sur leurs flancs, j’oserai dire sur leurs têtes, la révolte armée se levait ; troublés par cette unanimité terrible, remués eux-mêmes par la grande idée qui travaille l’Italie, les royaux hésitaient. Sur le continent, dans ce pays des Calabres, ils ne se croyaient plus, comme en Sicile, les maîtres légitimes d’un peuple plusieurs fois conquis et toujours hostile ; ils se sentaient chez eux, sur leur terre, ils comprenaient vaguement qu’ils allaient toucher à la patrie, et, semblables aux barbares devant le temple de Delphes, ils furent pris d’une crainte superstitieuse. Ils reculèrent alors de San-Giovanni à Monteleone, de Monteleone à Tiriolo, de Tiriolo à Cosenza, de Cosenza à Salerne, de Salerne à Naples et de Naples à Capoue. Là, le roi ferma les portes sur eux, se mit à leur tête ; l’obéissance passive reprit son formidable pouvoir, et, comme on menaçait de les fusiller quand ils ne se battaient pas contre leur propre cause, ils se battirent, contraints par la force, et non point pour défendre un régime dont mieux que personne ils connaissaient la cruelle inanité. Ils n’aspiraient qu’à venir à nous ; le nombre extraordinaire de prisonniers que nous fîmes dans la journée du 1er octobre doit le prouver aux esprits les plus prévenus. Aussi cette armée, qui aurait pu nous retarder au coin de tous les défilés que nous avons traversés, a pour ainsi dire ouvert ses rangs devant nous et nous a laissés passer. Garibaldi a atteint le but qu’il poursuivait ; il a révolutionné les Calabres par les Calabrais et Naples -par les Napolitains. S’il eût aimé la gloire, il eût pu manœuvrer de façon à avoir une bataille bien retentissante ; mais il ne combat qu’à la dernière extrémité, car il aime les hommes, et verser le sang italien est pour lui une douleur sans pareille.

Quant à François II, dévotement soumis aux volontés de son père, il avait continué d’abord cette politique intérieure que les documens diplomatiques ont mise au jour, et dans laquelle il était encouragé et maintenu par la reine douairière, âme violente, hautaine, implacablement enfermée dans le cercle du droit divin, et pour qui les peuples sont des troupeaux propres à marcher dans la vie, le front baissé, paissant, et dignes de mort s’ils osent lever les yeux vers la lumière. L’obscurantisme à outrance, qui avait été la seule politique du père, devint, en s’exagérant encore, la politique du fils. Dans le silence imposé par l’épouvante, le jeune roi crut voir la tranquillité et la soumission. Les avis ne lui avaient pas manqué cependant ; de grandes nations avaient daigné lui montrer l’abîme que chaque jour, comme à plaisir et en dépit de toutes les lois humaines,