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Depuis lors les visiteurs n’ont pas manqué au Caucase ; mais sauf l’Allemand Adam OElschlaeger (Oléarius), qui, au XVIIe siècle, suivit la route entre le Daghestan et la Mer-Caspienne, tous ont dû se borner à la région riveraine du Kouban et du Térek, à quelques points de la côte pontique et aux provinces chrétiennes de l’Arménie et de la Géorgie. L’intérieur du massif caucasien, jusqu’à sa soumission récente, était resté fermé aux explorations pacifiques de la science. Au milieu des travaux et des périls de la guerre dont il a été dans ces derniers temps le théâtre, quelques notions nouvelles ont été acquises sur cette foule de tribus jusqu’alors ignorées ou mal connues[1]. Ces notions sont encore sans doute bien imparfaites et ne peuvent servir de base à une classification ethnographique régulière ; elles suffisent néanmoins pour entrevoir dans cet ensemble plusieurs groupes principaux, ralliant chacun un nombre plus ou moins considérable de clans par une affinité dans les institutions et la vie domestique : — au Caucase occidental ou flanc droit, la grande famille des Tcherkesses ; au Caucase oriental ou flanc gauche, les anciennes et redoutables bandes des Lezghis, et dans une position intermédiaire les tribus de souche kiste, auxquelles se rattachent celles de la Tchetchenia, les plus actifs auxiliaires de Schamyl ; au sud, la race karthle ou géorgienne, et plus bas encore les Arméniens ; enfin, disséminés sur divers points, aux environs de l’Elbrouz, sur les bords de la Mer-Caspienne et dans le bassin de l’Araxe, des Tartares ou Turkomans qui, à une date comparativement récente et par deux directions opposées, le nord et le sud, se sont infiltrés parmi les aborigènes, mais sans se confondre avec eux. À ces cinq groupes, qui se subdivisent presque à l’infini, il faut ajouter, dans l’est de l’isthme, quelques Arabes descendans des conquérans des premiers temps du khalifat, enfin des Juifs réunis en une petite communauté et arrivés dans le pays à une époque dont eux-mêmes ont perdu le souvenir.

De ce pêle-mêle de nations, où sont représentés la plupart des types physiques de l’ancien monde, les Arméniens et les Géorgiens se détachent par une histoire à part. Grands autrefois comme peuples chrétiens, mêlés aux révolutions de l’Asie occidentale, ils ne vivent plus guère que par leurs souvenirs. S’ils sont intervenus dans les événemens contemporains, ce n’est que par le concours qu’ils ont prêté aux Russes. Tout le poids de la lutte est retombé et pour nous tout l’intérêt se concentre sur les montagnards du Caucase, simples enfans de la nature, poignée d’hommes barbares, mais héroïques,

  1. Depuis la cessation de la guerre, il y a dix-huit mois, dans le Daghestan, plusieurs voyageurs, dont quatre Français, ont parcouru ces montagnes ; mais aucune relation n’a été encore publiée.