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une répartition. La caisse n’en est pas moins une institution excellente au point de vue matériel, en ce qu’elle fournit à l’ouvrier une ressource contre le chômage et la maladie, et constitue réellement, par la bonification du capital, une augmentation de salaire. Elle est excellente aussi au point de vue moral pour deux raisons : d’abord elle donne l’habitude de l’épargne. On ne saurait s’imaginer l’influence que peut avoir un premier dépôt : cette somme mise à l’abri constitue enfin une propriété ; l’ouvrier s’y attache et ne songe plus qu’à l’augmenter. Par ce premier dépôt, le cabaret est à demi vaincu déjà, service immense. Un autre bienfait de la caisse d’épargne, c’est de faire concevoir à l’ouvrier la possibilité de laisser quelque chose à ses enfans. Quand on désespère de faire des économies, on se laisse aller à la dépense, on s’étourdit sur ses devoirs. En général, il ne faut pas que le devoir soit difficile au point de paraître impossible. La caisse d’épargne dit à tout ouvrier : « Tu peux avoir les vertus et la sollicitude d’un père, si tu le veux. »

Il est donc vrai que ces sortes d’associations ont une puissance fortifiante. Elles enseignent le devoir. Elles donnent à l’ouvrier bien plus qu’un dividende, bien plus qu’un secours : elles lui donnent de la volonté. Là est leur grandeur, car on ne saurait trop le répéter : il n’y a de sécurité et de dignité que dans la liberté. Personne n’a le pouvoir de sauver l’ouvrier du paupérisme, si ce n’est l’ouvrier lui-même.

Toutefois il faut reconnaître que si les caisses d’épargne sont excellentes pour favoriser le goût de l’économie, elles sont à peu près impuissantes pour le faire naître. Le problème était de fournir à l’ouvrier le moyen d’économiser avec passion. Une application attentive de la psychologie à la bienfaisance avait déjà démontré combien la méthode qui développe l’énergie individuelle, en confiant l’ouvrier pour ainsi dire à lui-même, en le provoquant et en l’aidant à agir, est préférable à celle qui le prend en tutelle et pourvoit sans lui à ses besoins. Ne pouvait-on s’avancer plus encore dans cette voie, recourir au stimulant le plus énergique de l’activité humaine, qui est sans contredit la propriété ? Au lieu de cette chétive somme que garde la caisse d’épargne, et qu’elle rend au bout de longues années augmentée de faibles intérêts, ne pouvait-on donner à l’ouvrir, en échange de ses économies, l’immédiate et solide jouissance d’une maison et d’un coin de terre ? Si ce projet se réalisait, il contenait, pour ainsi dire, toutes les réformes dans une seule : non-seulement il développait plus puissamment que tous les autres moyens le goût du travail et de l’épargne, mais, en concentrant toutes les espérances de l’ouvrier dans la possession d’un intérieur, il lui inspirait directement le goût des vertus domestiques. Cette réforme vraiment capitale est-elle possible ? Elle est possible, puisqu’elle