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langue d’un peuple qui peut servir à pénétrer le secret de ses origines. La langue japonaise présente des difficultés d’une nature particulière et qui n’ont été abordées que par un nombre encore très restreint de savans. Là, comme sur plusieurs autres points, les premières apparences ont cru pouvoir signaler un rapport intime entre les Chinois et les Japonais : en effet, comme leurs voisins, les Japonais possèdent une langue idéographique, et usent familièrement d’un chinois prononcé à la japonaise et appelé sinico-japonais. Toutefois la science n’a point tardé à reconnaître que sous cette apparence de relation étroite n’existait aucun fond solide. Il en a été de la langue comme de la religion : avec leur étonnante facilité d’assimilation et leur tolérance sans exemple, les Japonais ont accepté de leurs voisins une langue ; mais ils en avaient une, fort supérieure, et, de même que le bouddhisme a vécu à côté de la religion des sintos, de même la langue monosyllabique, idéographique des Chinois a trouvé bon accueil auprès de la langue syllabique et phonétique des Japonais. Il ne faut donc, suivant toute vraisemblance, voir dans cette introduction du chinois au Japon, qui eut lieu vers la fin du me siècle de notre ère, que l’indice de relations commerciales entre les deux peuples. Un Anglais qui séjourne en ce moment même au Japon, M. Alcock, fait judicieusement observer que cette nation est la seule qu’on ait jamais vu accepter volontiers, sans y être forcée par la conquête ou par quelque autre pression extérieure, la langue et les croyances d’un peuple étranger fort différent, tout en possédant elle-même une nationalité et un esprit d’indépendance très développés.

La langue japonaise, par ce fait qu’elle est polysyllabique et phonétique, est donc radicalement différente de la langue chinoise, et il est à peine utile de faire remarquer combien, par l’existence seule de ces caractères, elle lui est supérieure. Où se retrouvent les affinités de cette langue ? M. A. Maury, résumant les opinions de la science, dit qu’elle appartient à la famille des langues altaïques ou ougro-japonaises, d’où procèdent, entre autres, les idiomes mongol, turc, magyar, mandchou, et qu’à côté du japonais le coria ou coréen apparaît comme un autre rameau de la même branche[1]. M. L. de Rosny, un des savans qui s’attachent spécialement à l’étude de cette langue, confirme la parenté du coréen et du japonais dans leurs grammaires, sinon dans leurs vocabulaires. Donc, s’il n’est pas encore possible de déterminer avec certitude la provenance des Japonais, du moins cependant entrevoit-on leur parenté avec les races qui sont sorties des plateaux féconds de l’Asie supérieure. Seulement, plus favorisés que les Mandchoux ou les Mongols, ils se sont

  1. La Terre et l’Homme, pages 412-416.