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par la rigueur dans les couvens de province, ou gagnées par Fénelon dans la maison de Paris. Elles arrivaient un peu calmées, ayant versé leurs dernières larmes, émues et fort touchantes encore. Le roi voulut les voir avant même que tout ne fût organisé (à Noisy, 1684), et cette première impression lui fut singulièrement agréable. Il alla seul et les surprit. Lorsqu’on annonça : le roi ! ce fut un coup de foudre. Les dames dirigeantes, toutes jeunes et très belles, le furent encore plus du saisissement. Les petites eurent tant peur que, si curieuses qu’elles fussent, pas une n’osa regarder. Ces tremblantes colombes le touchèrent fort. Il les avait faites orphelines, et la plupart n’avaient de père que lui. La grande obéissance qu’elles rendaient à ses volontés ayant soumis leur foi, donné le cœur du cœur, immolé jusqu’aux souvenirs, quel triomphe absolu !… Nul plaisir plus exquis n’eût pu flatter le roi et l’homme.

Tout était calculé, le costume agréable. Les dames, dans un noir élégant, avaient la coiffure à la mode, le visage encadré d’une sorte d’écharpe nouée sous le menton, mais quelque peu flottante et chiffonnée à volonté, dont on tirait les plus charmans effets. C’était un demi-voile mondain avant le voile de religieuse qu’elles étaient destinées à porter. Le roi ne tint pas d’abord à leur imposer ce sacrifice, et dit « qu’il y avait déjà trop de couvens. » On n’exigea que des vœux simples. Le costume des petites, de modeste étoffe brune, se relevait et par le linge et par la bordure de couleur, diverse selon la classe. Un peu de dentelle au cou montrait la demoiselle. On laissait passer de jolis cheveux, Le bonnet seul déplut ; il était trop serré, et il en faisait des béguines ; le roi y fit ajouter un ruban.

Il fit venir Louvois, et il l’envoya, maugréant, pour Mme de Maintenon, chercher, choisir, bâtir une maison digne d’une telle fondation. Ce fut Saint-Cyr. Le lieu n’était pas gai. Cependant, quand les demoiselles virent ce que le roi avait fait pour elles, quand elles entrèrent dans ces bâtimens vastes, ces jardins sérieux, mais non sans quelques fleurs, elles furent reconnaissantes. Il relevait de maladie (1687). Elles le reçurent, à sa première visite, par un beau chant qu’avait composé Mme Brinon, leur supérieure, et que Lulli avait orné de sa mélodie grave et tendre. C’était le chant célèbre : « Dieu sauve le roi ! » que les Anglais nous ont pris sans façon.

Quelle était cette éducation ? Bien moins sérieuse alors que ne le feraient croire les lettres de Mme de Maintenon sur ce sujet. La véritable fondatrice, Mme Brinon, une ursuline, éloquente et brillante, née pour la cour, entrait tout à fait dans les vues mondaines du roi ; mais Mme de Maintenon, qui plus tard rejeta tout sur elle, ne fut nullement innocente. Elle leur fit très bien apprendre et chanter les prologues d’opéra, l’énervante poésie de Quinault, de ridicule idolâtrie,