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avec Santana, chargé de cette négociation. Personne n’a oublié quel était alors l’affaiblissement de l’Espagne : absorbée dans les luttes intestines, elle ne pouvait songer à se créer de lointaines affaires. Éconduits de ce côté, les Dominicains se tournèrent vers la France, représentée dans ces parages par deux hommes entreprenans et énergiques, l’amiral de Mosges et le consul-général Levasseur, dont l’intervention n’avait jamais fait défaut dans les momens critiques. Alors se produisit un épisode assez curieux de notre histoire diplomatique. De véritables négociations, toujours conduites par Santana et Baëz, s’ouvrirent avec le consulat français de Port-au-Prince. Non-seulement elles furent accueillies par notre agent, mais, avec une intelligence qui l’honore, il comprit que la plus saine condition de succès était l’accession du président haïtien. Le vieux noir Guerrier venait d’être proclamé. Notre consul parvint à obtenir sa secrète adhésion sous la seule condition que l’esclavage ne serait jamais rétabli dans la partie qu’il s’agissait d’annexer. Il est certain que l’initiative prise par le consul-général de France fut approuvée par son gouvernement, que des ordres furent donnés à l’amiral de Mosges de rallier Saint-Domingue avec toute la station navale du golfe du Mexique, et de proclamer l’annexion de la partie espagnole à la France. Ce qui est non moins certain, c’est que ce mouvement fut effectué, et que nos deux agens arrêtaient entre eux les dernières dispositions d’exécution lorsque des contre-ordres leur arrivèrent. L’affaire s’était ébruitée, et avait pris aussitôt un caractère international qui n’avait pas permis d’aller plus avant sans compromettre de plus graves intérêts. Plusieurs fois depuis lors cette idée fut reprise, et notamment, croyons-nous, en 1848, par l’ex-président Baëz, qui se trouvait à Paris et se mit en rapport avec le gouvernement français ; mais les préoccupations intérieures étaient évidemment trop grandes. La France se contenta de reconnaître la nouvelle république et de donner l’exequatur à son consul.

Désespérant de l’Espagne et de la France, la population de l’est finit par songer, aux États-Unis. Son antipathie de race latine pour l’Anglo-Saxon se trouvait comme tempérée par le voisinage, les relations de chaque jour. C’était au moment où la politique de la Maison-Blanche proclamait ses étranges doctrines sur l’utilité et la convenance de l’annexion de Cuba. L’heure était propice. Il y eut des menées vivement conduites par un agent habile. Abandonnées, reprises, poussées même jusqu’à la signature d’un traité heureusement non ratifié, le tout au milieu de luttes, de compétitions personnelles, elles eussent infailliblement abouti sans la mémorable diversion que vint créer la rupture de l’union américaine.

On assure que Santana fut lui-même le promoteur originaire de ce mouvement nouveau, et on lui reproche en termes injurieux la