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froc de la dévotion et du manteau de la charité ne résiste point aux attraits de la boisson, et le vin fait sortir la vérité du puits.

Il y a un autre type qui mérite d’être étudié, c’est celui de l’Anglais qui a passé sa vie dans les Indes. Au Saint-James’s Theatre, un acteur qui excelle dans l’expression, Alfred Wignan, représente à merveille un de ces vieux tigres du Bengale. Le soleil tropical a desséché son cœur, plissé son front, blanchi ses cheveux, agacé ses nerfs ; dur, égoïste, absolu, irritable, il se croit toujours, comme dans le désert, entouré d’ennemis, exige autour de lui l’obéissance passive, se fait servir comme un nabab, trouve que le ciel de l’Angleterre s’est horriblement refroidi depuis un quart de siècle, et ne voit plus dans ses neveux et nièces que des étrangers qui convoitent sa fortune. Peu à peu cependant le doux soleil de la famille réchauffe cette âme engourdie ; les réflexions d’un vieux domestique de la maison qui, à la vue d’un portrait, compare ce qu’était autrefois son jeune maître au vieillard impérieux, morose, égoïste, sur lequel le climat de l’Inde a gravé les traits d’un tyran domestique, ouvrent les yeux de l’ancien colon, et lui font découvrir le triste changement qu’a subi son caractère. La rude écorce se rompt, et l’Anglais redevient lui-même. Le divorce bill aurait donné lieu, d’un autre côté, s’il faut en croire certains symptômes, à une industrie que les législateurs n’avaient certainement point prévue : c’est celle du trafiquant en divorces. À ce théâtre de Saint-James, le même acteur, qui est aussi auteur dramatique, a introduit dans une jolie comédie, Law for the women (la Loi pour les femmes) un de ces personnages ténébreux qui cherchent à troubler le repos des ménages ou du moins à profiter des tempêtes domestiques. Le jeune couple dont il s’agit sur la scène se trouve provisoirement divisé par un de ces nuages de jalousie qui passent trop souvent devant la lune de miel. L’agent se glisse dans la maison comme le serpent dans le paradis terrestre et murmure à l’oreille de la femme le langage obscur de la loi. « Nous voulons un bon divorce, lui dit-il ; mais pour l’obtenir il nous faut des preuves de voies de fait ou de brutalité. Faites-vous donner un soufflet. » Ce soufflet néanmoins, ce n’est pas la femme qui le reçoit, c’est au contraire elle qui le donne dans un moment d’impatience et de jalousie. Au bruit que fait cette petite main appliquée sur la joue du mari, l’agent, qui est resté aux écoutes dans une chambre voisine, apparaît, se déclare témoin et prononce quelques phrases d’avocat sans cause sur les droits du sexe faible et opprimé. Ses intrigues demeurent néanmoins impuissantes. Ce soufflet amène au contraire un éclaircissement entre les jeunes époux et une réconciliation absolue. Il ne reste plus au divorceur (s’il est permis d’inventer un nom nouveau pour une industrie nouvelle) qu’à offrir ses services pour une prochaine occasion.