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française n’avait pas été autorisée par l’Europe, comme si enfin il était juste de prendre l’air Partant pour la Syrie pour une des fanfares de l’ambition napoléonienne au moment même où nous revenons de la Syrie ! Mais, tout inopportune qu’elle soit, l’invective du Saturday Review montre quelle est l’incurable défiance que l’Angleterre a contre.la France en tout ce qui touche à la Syrie.

Quand, au mois de juillet 1860, chaque paquebot arrivant du Levant annonçait les épouvantables massacres du Liban d’abord et bientôt de Damas, quand la conscience européenne s’indignait de si grands attentats, quand la France demandait que nos soldats allassent venger l’humanité si cruellement outragée, le gouvernement anglais s’associait à ce mouvement général d’indignation et de pitié : il acquiesçait au départ de nos troupes ; mais à ce moment même lord John Russell, dans ses dépêches à lord Cowley, avouait « que l’emploi de forces étrangères dans l’intérieur de la Syrie était une mesure que le gouvernement anglais n’adoptait qu’avec beaucoup de répugnance. Cette intervention peut exciter plus vivement encore le fanatisme musulman et retarder, au lieu de hâter, la pacification de la Syrie. C’est aussi une mesure qui peut amener des difficultés internationales d’une grave nature[1]. » Il faut même dire que la nouvelle des massacres de Damas fut ce qui décida les ministres anglais à consentir à l’expédition française ; les massacres du Liban n’avaient pas suffi. « Le gouvernement sait bien le mal que peut faire une occupation étrangère, écrit lord John Russell à M. Bulwer le 1er août 1860, et il n’y a que l’odieuse conduite (the extreme misconduct) des pachas turcs et des troupes turques en Syrie qui ait pu décider le gouvernement de la reine à consentir aux propositions de la France. La punition et la répression des massacres du Liban auraient été laissées à la justice et à la vigilance de Fuad-Pacha, si les désastreuses nouvelles arrivées de Damas n’avaient montré que, même dans une des principales villes de l’empire, les autorités turques étaient incapables de protéger la vie des chrétiens. Que ce soit manque de pouvoir ou manque de volonté, le manque de sécurité pour la vie et la propriété est égal dans les deux cas[2]. »

Ces derniers mots de lord John Russell expliquent l’état du gouvernement turc : à Constantinople, manque de pouvoir pour protéger les chrétiens des provinces ; dans les provinces, manque de volonté. Connaissant si bien ces deux défauts de la Turquie, qu’espère donc en faire lord John Russell ? Comment lui donnera-t-il de la force ? ou comment lui donnera-t-il de la volonté pour défendre

  1. Recueil anglais, p. d5, n° 22, 23 juillet 1860.
  2. Ibid., p. 31, n° 49.