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à l’exécution loyale et sincère du hatt-humayoun, c’est-à-dire au droit le plus essentiel des chrétiens, à celui de n’être pas tués parce qu’ils sont chrétiens. C’est dans cet esprit que les plénipotentiaires, dans cette séance du 3 août 1860, « ne peuvent s’empêcher, en rappelant ici les actes émanés du sultan, dont l’article 9 du traité du 30 mai 1856 a constaté la haute valeur, d’exprimer le prix que leurs cours respectives attachent à ce que, conformément aux promesses solennelles de la Sublime-Porte, il soit pris des mesures administratives sérieuses pour l’amélioration du sort des populations chrétiennes de tout rite de l’empire ottoman[1]. »

En quoi donc l’intervention de l’Europe en Syrie peut-elle être considérée « comme une sorte d’atteinte aux droits de souveraineté du sultan, » ainsi que le dit la note turque du 27 juillet 1860 ? L’Europe a agi dans les limites et selon l’esprit du traité de 1856 ; elle a pratiqué l’article 9 de ce traité comme on doit le pratiquer. C’est dans cette vue qu’elle a autorisé l’expédition française ; c’est dans la même vue qu’elle pourrait autoriser une seconde expédition, si les droits religieux et politiques des chrétiens étaient de nouveau outrageusement violés et détruits, en dépit de l’article 9 du traité de 1856. Nous reconnaissons que ces interventions européennes ne peuvent pas se faire sans le consentement de la Porte-Ottomane. Il s’agit seulement de l’obtenir. Il est vrai que c’est à Londres qu’il faut le demander.

Pourrait-on s’en passer ? Non, selon moi, dans les cas qui résultent de l’article 9 du traité de 1856, car là l’Europe, je le crois, doit agir collectivement ; oui, dans les cas qui résultent de l’article 8 du même traité, c’est-à-dire « s’il survenait entre la Sublime-Porte et l’une ou plusieurs des autres puissances un dissentiment qui menaçât le maintien de leurs relations. » Dans ce cas, « la Sublime-Porte et chacune de ces puissances, avant de recourir à l’emploi de la force, mettront les autres parties contractantes en mesure de prévenir cette extrémité par leur action médiatrice. » Ainsi les griefs particuliers des puissances européennes contre la Turquie sont réservés ;

  1. Protocole de la conférence de Paris, 3 août 1860. — L’explication que nous donnons du protocole du 3 août 1860 est confirmée par les paroles de M. Thouvenel, qui l’a proposé aux représentans des puissances signataires du traité de 1856 : « J’ai proposé à l’ambassadeur d’Angleterre de signer avec tous les représentans un protocole qui, déterminant le véritable caractère, témoignerait de leur vœu de voir la Porte se conformer aux promesses dont le congrès de Paris avait déjà constaté la haute valeur. Cette déclaration, qui se rattacherait en réalité aux arrangemens pris en 1856, deviendrait en quelque sorte une garantie pour la Turquie et serait en même temps un gage de la sollicitude de tous les gouvernemens indistinctement pour le maintien de la paix comme pour la situation des sujets chrétiens du sultan. » — Dommens diplomatiques français, p. 213. Lettre du ministre des affaires étrangères à M. le comte de Persigny, 1er août 1860.