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du XVIIIe siècle et de l’esprit français qui avaient eu l’honneur de mériter et de gagner à notre pays ces attentions, ces prévenances, ces assiduités des chefs des autres nations du continent, y puisaient à leur tour un juste sentiment de leur dignité et de leur force. Un mince écrivain tel que Marmontel allait jusqu’à se sentir élevé par ce courant au niveau d’un des princes les plus distingués de l’Europe, le duc de Brunswick, en faisant au meilleur élève de Frédéric les honneurs de l’Académie. On a beau être né après 89, on a beau appartenir à une démocratie ; on peut sans bassesse exprimer des regrets sous l’impression de ces souvenirs et des comparaisons auxquelles donnent si naturellement naissance les voyages princiers de nos jours. Mais que sont devenues les vieilles lunes ? Si le va-et-vient de souverains auquel nous assistons ne contribue à établir aucune relation entre l’esprit des cours étrangères et l’esprit de la société française, à qui la faute ? Les princes contemporains sont-ils dépourvus des curiosités vaillantes ou délicates de l’intelligence, ou bien la société française a-t-elle cessé d’être un attachant sujet d’études ? N’avons-nous plus d’hommes distingués dans la philosophie, dans les lettres, dans les arts, dont l’entretien méritât d’être recherché par des têtes couronnées ? ou bien le goût s’est-il oblitéré chez les princes contemporains au point qu’il n’y ait pas pour eux de distraction plus attrayante que de visiter des bâtisses, d’assister à des parades militaires, ou de passer une soirée dans quelque petit théâtre parisien ? Serait-ce plutôt que la politique a ainsi dérangé les choses que les rencontres auxquelles se plaisaient tant les princes et nos hommes d’esprit d’autrefois sont devenues chez nous impossibles ? Ne voulant désobliger personne, nous nous abstiendrons poliment et prudemment de répondre à ces questions.

Comment notre siècle ne se bornerait-il pas à estimer par le côté utilitaire les entrevues des souverains ? Nous enflons vainement d’ambition et d’orgueil nos desseins politiques, à chaque instant les nécessités matérielles nous ramènent à la prose des affaires. La vraie question du moment pour la France n’est point dans les entretiens politiques qui ont pu avoir lieu à Compiègne ; elle est dans la crise de finances, d’industrie et de commerce dont nous sommes menacés.

Nos lecteurs savent que, tout en prévoyant depuis trois mois les difficultés qui devaient résulter de l’insuffisance de la récolte de blé de cette année, nous nous sommes défendus contre les exagérations du pessimisme. Nous avions espéré que plusieurs circonstances particulières, — telles que l’abondance relative de l’argent et du blé en Angleterre, les restrictions forcées que la situation politique des États-Unis imposera à notre production industrielle, soit en nous fermant un vaste débouché pour nos exportations, soit en nous privant d’une matière première que nous importons d’Amérique, le coton, — nous permettraient de traverser une période, d’ailleurs très douloureuse, sans que nous fussions obligés d’aggraver le mal par le renchérissement