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plate, les joues pendantes, en quête d’une écuelle oubliée. On voyait aussi, pendu aux pattes de derrière contre la muraille, un vieux lièvre roux apporté par le chasseur Heinrich pour être vendu au marché, et un beau coq de bruyère, moiré de vert et de roux, l’œil terne, une goutte de sang au bout du bec.

Il était environ sept heures et demie, lorsqu’un bruit de pas se fit entendre à l’entrée de la cour. Le dogue s’avança sur le seuil en grondant… Il écouta,… aspira l’air de la nuit, puis revint tranquillement se remettre à lécher son écuelle. — C’est quelqu’un de la ferme, dit Annette, Michel ne bouge pas.

Et presque aussitôt le vieux Duchêne cria : — Bonne nuit, maître Jean-Claude. C’est vous ?

— Oui, j’arrive de Phalsbourg, et je viens me reposer un instant avant de descendre au village… Catherine est-elle là ?

Et l’on vit le brave homme apparaître à la vive lumière, son large feutre sur la nuque, et son rouleau de peaux de mouton sur l’épaule.

— Bonne nuit, mes enfans, dit-il, bonne nuit !… Toujours à l’ouvrage ?

— Mon Dieu, oui, monsieur Hullin, comme vous voyez, répondit Jeanne en riant. Si l’on n’avait rien à faire, la vie serait bien ennuyeuse !

— C’est vrai, ma jolie fille, c’est vrai, il n’y a que le travail pour vous donner ces fraîches couleurs et ces grands yeux brillans.

Jeanne allait répondre, quand la porte de la salle s’ouvrit, et Catherine Lefèvre s’avança, jetant un regard profond sur Hullin, comme pour deviner d’avance les nouvelles qu’il apportait : — Eh bien ! Jean-Claude, vous êtes de retour ?

— Oui, Catherine… Il y a du bon et du mauvais.

Ils entrèrent dans la salle, haute et vaste pièce boisée jusqu’au plafond, avec ses armoires de vieux chêne à ferrures brillantes, son poêle de fonte en pyramide s’ouvrant dans la cuisine, sa vieille horloge marquant les secondes dans son étui de noyer, des traverses au plafond chargées de claies où séchaient les pruneaux et les raisins, la table à jambes torses, les chaises de vieux buis, et le fauteuil de cuir à crémaillère, usé par dix générations de vieillards : tout cela était bruni, sombre. Jean-Claude n’entrait jamais dans cette salle sans se rappeler le grand-père de Catherine, qu’il lui semblait voir encore avec sa tête blanche, assis dans l’ombre derrière le fourneau.

— Eh bien ?… lui demanda la vieille fermière.

— Eh bien !… de Gaspard, les nouvelles sont bonnes,… le garçon se porte bien. Il en a vu des dures !… Tant mieux,… cela forme la jeunesse !… Mais quant au reste, Catherine, ça va mal : la guerre ! la guerre !…

Il hocha la tête, et la vieille, les lèvres serrées, s’assit en face de