Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils peuvent avoir l’un et l’autre à notre reconnaissance, on peut très bien proclamer que l’invention du papier de linge n’a point été étrangère à l’histoire des idées qui ont renouvelé la face du monde au XVIe siècle.

Jusqu’ici, la Grande-Bretagne n’avait nullement participé à une industrie qui florissait déjà chez les différentes nations du continent. Ce ne fut que vers la fin du XVIe siècle qu’elle vit construire dans ses îles, et encore par la main d’un étranger, le plus ancien moulin à papier, paper mill, dont il reste des traces authentiques. La nouvelle branche de manufacture se développa lentement, et longtemps encore l’Angleterre reçut son papier de l’Italie, de l’Allemagne, de la France et de la Hollande. Guillaume III, d’accord avec le parlement, octroya une patente et des privilèges aux huguenots réfugiés en Angleterre, pour les encourager à y établir des manufactures de papier. Vers 1695, une compagnie se forma en Écosse afin de féconder par des capitaux cette nouvelle source d’industrie. En 1749, un certain Francis Joy reçut du parlement une somme de 200 livres sterling à titre de récompense, pour avoir introduit la première machine à papier qui ait travaillé dans le nord de l’Irlande. Il faut croire que, malgré ces tentatives, l’art de fabriquer le papier fit d’abord très peu de progrès dans le royaume-uni, puisque les écrivains anglais du dernier siècle se plaignaient généralement de ce que le pays était encore tributaire de l’étranger pour sa provision annuelle de papier et payait au continent des sommes énormes. Cette palme de l’industrie britannique n’atteignit un certain degré de perfection que de 1760 à 1765 ; ce fut grâce à un fabricant nommé James Whatman, qui avait établi ses moulins à Maidstone, dans le Kent. Avant d’être chef de manufacture, Whatman avait été officier dans la milice ; il avait aussi voyagé en Hollande, où il appartenait à la suite de l’ambassadeur anglais. Là il visita les fabriques de papier et recueillit les documens sur lesquels devait travailler son génie. De retour dans la Grande-Bretagne, il y fonda une réputation qui dure encore[1]. Je me hâte d’arriver aux temps modernes, La machine à papier continu, inventée par un Français, Louis Robert, fut introduite en Angleterre, au commencement de ce siècle, par John Gamble, beau-frère de M. Didot, qui était alors propriétaire des manufactures de papier d’Essonne. John Gamble s’entendit avec un célèbre papetier de Londres, Henri Fourdrinier, qui dépensa des sommes énormes à perfectionner la machine. Il succomba dans la lutte et fit faillite ; mais, grâce à ses pertes et à son désastre commercial, l’invention triompha. De combien d’autres progrès

  1. Le papier connu sous le nom de Whatman’s paper se fait aujourd’hui dans deux moulins séparés s qui sont, dit-on, exploités par les successeurs et les descendans de ce fabricant célèbre.