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étant rejetée par les coupeuses, et que d’un autre côté la machine agissait mieux sur le chiffon déjà divisé que sur le chiffon brut. Du duster, les chiffons passent dans le boiler, vaste chaudière remplie d’eau bouillante et d’une dissolution de matière alcaline. On se propose ainsi de les laver, de leur enlever une partie de la couleur, et (je cite les paroles de mon guide) de tuer la matière animale qui s’y trouve plus ou moins mêlée.

Jusqu’ici les chiffons ont fait leur toilette, — et je vous jure qu’ils en avaient besoin, — mais ils n’ont point encore perdu leur nature. Ils vont maintenant subir une suite de changemens à travers lesquels nous finirons par ne plus les reconnaître. La chimie pratique est une magicienne qui transforme la substance et l’aspect des matières ; ses moyens sont, je l’avoue, plus compliqués que ceux de la baguette de fée, mais ils arrivent au même but. L’histoire des métamorphoses du chiffon commence aux washing machines ; on appelle ainsi de longues et immenses auges de pierre, ayant un peu la forme d’une ancienne baignoire romaine. Ces auges sont remplies d’eau froide qui entre par une ouverture et s’échappe par une autre, de telle sorte qu’elle se renouvelle sans cesse et se maintient toujours pure. Au centre de chaque auge est le cylindre ou breaking in engine qui répond à deux fins : il lave les chiffons en les battant et en les agitant, mais surtout il les désorganise. Il ne faut pas dire qu’il les coupe, quoiqu’il soit armé de lames de fer, car en les coupant il altérerait la fibre du linge ou du coton, mais il les arrache. Cette machine passe pour avoir été inventée en Hollande vers la fin du dernier siècle ; elle fut assez longtemps avant de s’introduire en Angleterre. Un de ses caractères est l’activité ; grâce à elle, on peut maintenant préparer dans les fabriques jusqu’à 12 tonnes de matière à papier par semaine. Elle a, si je puis m’exprimer ainsi, des dents et des bras ; avec ses dents elle déchire, avec ses bras elle agite et tourmente sans cesse le chiffon qui voudrait se reposer au fond de la baignoire. Le résultat de ces divers mouvemens est de convertir par degrés le chiffon en une sorte de pulpe qui flotte et nage dans l’eau courante. Nous pouvons dès maintenant nous faire une idée de la nature des actions chimiques et mécaniques sous lesquelles vont passer les anciennes étoffes ; ces actions variées concourent toutes vers un but, qui est de détruire les affinités primitives de la fibre de linge ou de coton pour lui en faire contracter de nouvelles. Quand le chiffon a été suffisamment lavé et pour ainsi dire moulu dans les cuves, ce qui demande environ une heure et demie, il descend sous forme de pâte dans une salle inférieure de la fabrique, où il occupe des caisses ou des loges en bois. La grande affaire est maintenant de le blanchir. On emploie pour cela une solution de chlorure de chaux. Cette opération demande à être pratiquée avec