Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figure donc un rouleau de papier bleuâtre de huit cents pieds de long, ayant trois fois la largeur de la feuille que les Anglais appellent foolscap, et sortant d’un vaste baquet pour s’engager à travers une série de soixante-dix tambours qui se succèdent les uns aux autres. Ces tambours, que les Anglais appellent, à cause de la légèreté, des tambours squelettes (skeletomdrums), se trouvent renfermés dans une sorte d’alcôve immensément longue, et où règne un courant d’air approprié à la nature du séchage. De distance en distance, vous pouvez ouvrir des portes qui donnent dans cette alcôve, et vous jouissez alors d’un joli spectacle. Cette feuille de papier voyageuse qui s’enroule et se déroule de tambour en tambour forme, chemin faisant, des tentures gracieuses ressemblant assez bien à des rideaux de lit, d’un bleu pâle, sous lesquels on chercherait volontiers un enfant ou une fée endormie. Tout cela n’a pourtant point été construit, on le devine bien, pour le plaisir des yeux. Les fabricans anglais se proposent de donner ainsi au papier le temps de sécher lentement et par une gradation insensible, car ils ont reconnu que de tels soins exerçaient sur la qualité des produits une influence considérable. Quand une extrémité de ce rouleau de papier mouvant, dont l’autre extrémité trempe encore dans l’eau, a atteint le dernier tambour,-il est complètement sec. C’est alors qu’il descend, en coulant toujours, dans une salle plus basse où se trouve la machine à couper. Dans cette machine, la nappe de papier se divise d’abord en trois bandes, puis vers la fin elle se détache en feuilles qui tombent trois par trois, et sont recueillies à la main par des garçons de douze ou treize ans.

À partir de ce moment, le papier est fait ; mais pour l’embellir on le transporte dans ce que les Anglais appellent finishing house. C’est là en effet qu’il doit se finir et recevoir sa dernière forme. La salle dans laquelle nous entrâmes était occupée par de jeunes filles ; mais à première vue il est aisé de saisir une grande différence entre ces dernières ouvrières et les coupeuses de chiffons que nous avions rencontrées d’abord. Les sorters, comme on les appelle (trieuses ou assortisseuses), appartiennent à une autre classe de femmes ; leur toilette était soignée et même élégante, surtout pour une petite ville ; leurs manières avaient quelque chose de distingué, et comme elles travaillent toutes nu-tête, on pouvait voir qu’elles donnaient une grande attention à leur chevelure. Il est vrai de dire que leur travail est beaucoup plus délicat que celui des rag pickers et réclame d’elles surtout une grande propreté. Leur tâche consiste à examiner le papier et à rejeter les feuilles sales ou endommagées. On devine bien que ce rebut et les rognures dispersées dans la fabrique ne sont point perdus. Ce papier fautif ou morcelé redeviendra du papier bon pour le commerce en repassant par les diverses évolutions que j’ai in-