Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journaux. Ils accourent suant, soufflant sous des sacs chargés de papier, et se poussent les uns les autres malgré les efforts des policemen, qui cherchent à maintenir un certain ordre au milieu de la confusion. De moment en moment le flot grossit, car on sait que l’horloge de la poste est fidèle et impitoyable. Les journaux, recouverts d’une bande, volent comme une nuée de pigeons autour de la fenêtre, lancés qu’ils sont en l’air par mille mains. Les sacs, les paquets, les corbeilles versent, ainsi que dans un gouffre, des rames et des rames de papier. Tout cela tombe pêle-mêle, jeté du dehors, et est saisi pour ainsi dire au vol par des hommes qui sont à l’intérieur ; ils vident les sacs, les corbeilles, et les rendent ensuite aux porteurs. C’est une rude tâche, et un policeman de service me disait qu’il y a quelques années surtout, avant l’intervention de certaines mesures d’ordre, les employés de l’administration de la poste avaient eu plus d’une fois les yeux et le visage meurtris par les avalanches de journaux qui se précipitaient sur eux. Le bruit court même que dans le feu de l’action un enfant fut lancé un jour avec les paquets, et par mégarde, dans l’intérieur des bureaux. Cependant l’horloge commence à sonner six heures : l’ardeur et la presse redoublent, les journaux pleuvent encore : mais au dernier coup la fenêtre s’abaisse brusquement. « Trop tard, too late ! » s’écrient un ou deux traînards déconcertés. Les lettres et les journaux peuvent néanmoins partir encore le même jour : les premières en payant à sept heures un extra stamp (timbre) d’un penny, et les seconds d’un demi-penny, comme une amende prélevée sur la négligence. C’est surtout le vendredi et le lundi qu’il faut assister à cette scène émouvante connue des Anglais sous le nom de foire aux journaux, parce que ce sont les deux jours où partent les journaux de la semaine, weekly newspapers. Pour les lettres, le grand jour est le samedi, car la poste anglaise ne fonctionne point le dimanche, et les maisons de commerce consacrent surtout le samedi à leur correspondance.

L’histoire du general post office de Londres, établi vers 1649 par un acte du parlement, peut se diviser en trois périodes qui se représentent par trois hommes, Edmund Prideaux, Palmer et M. Rowland Hill. Prideaux, qui avait été nommé post master par les deux chambres, introduisit, au nom de l’état, quelque unité dans un service qui avant lui était plus ou moins abandonné aux industries particulières. C’était encore l’enfance des moyens de communication. Les sacs de lettres, letter bags, étaient portés dans toute la Grande-Bretagne par des courriers à cheval ou dans de petites voitures qui se trouvaient très souvent arrêtées sur les grands chemins par les brigands. En dépit de la suscription si souvent répétée sur les lettres du temps, haste, haste, poste haste, il paraît que la poste d’alors se hâtait lentement, car elle ne faisait guère plus de quatre ou cinq