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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 août 1861.


Il nous faut décidément renoncer à l’espoir de plaire jamais à certains apologistes officieux du gouvernement. Nous avons été transformés en impardonnables pessimistes pour avoir défini sans nous mettre en colère un trait saillant de la situation actuelle. Notre crime est d’avoir été frappés du contraste qui dans cette situation sépare la France des autres grands états. Ceux-ci sont presque tous affaiblis par des déchiremens intérieurs ; leur avenir est un problème redoutable posé par les divisions intestines qui les tourmentent et les paralysent dans le présent. Nous au contraire, nous avons tous les attributs de la force ; nous sommes une puissance ramassée sur elle-même. Notre unité, en face des antagonismes nationaux qui divisent d’autres états, semble doubler notre pouvoir. Il est permis peut-être à un grand peuple de s’arrêter un moment avec satisfaction devant le spectacle de sa supériorité relative sur les autres peuples : il y a plus de patriotisme que d’égoïsme à se complaire un instant dans la conscience de la force de son pays. Nous nous sommes laissés aller tant soit peu à cet entraînement, et d’intelligens adversaires n’auraient pas dû être fâchés de nous surprendre dans cette effusion passagère. Il est vrai que, tout en prenant acte à notre guise de la prééminence dont la France jouit à l’égard du continent grâce à l’admirable cohésion de ses ressources et de ses forces, nous avons combattu ce mouvement d’orgueil en nous rappelant qu’il n’est plus permis aujourd’hui à une nation de se féliciter de l’affaiblissement moral et matériel de ses rivales. Il n’est plus pardonnable en effet d’ignorer que la vraie grandeur n’est point au prix de l’abaissement des autres, mais est attachée au contraire à l’élévation du niveau général, au commun effort, à l’émulation généreuse par laquelle tous s’élèvent à la fois. La vie morale des peuples, comme leur vie matérielle, se ressent aujourd’hui plus vivement que jamais de cette solidarité. Au point de vue matériel, cette mutuelle dépendance est assez manifeste : les intérêts de finance, de commerce, d’in-