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semble moins escarpée, et le chemin creux moins profond. Tant d’héroïsme sera-t-il inutile? Ce sont 10,000 hommes d’élite qui s’élancent sur le front de l’ennemi.

Suivant les relations des Anglais, quand l’immense masse de cavalerie commença à s’agiter sur un terrain onduleux, l’espace entre la Haie-Sainte et Hougoumont leur parut comme une mer houleuse pleine de brisans tout à coup soulevée par l’ouragan. Qu’est-il arrivé dans cette seconde attaque désespérée? Encore une fois la cavalerie a gravi le plateau; elle le possède. A peine les batteries anglaises ont-elles tiré, les formidables colonnes de soutien débouchent; le feu de cent pièces de canon a été comme perdu sur ces masses : cuirassiers, lanciers, carabiniers, chasseurs, dragons, couronnent les hauteurs.

Mais si l’attaque a la même furie, la résistance est aussi acharnée. Les mêmes carrés se sont reformés, en première ligne par bataillons, en seconde par régimens et par brigades. De nouveau les fantassins anglais paraissent submergés au milieu d’une mer d’hommes. De nouveau les escadrons français se précipitent à travers les intervalles ouverts des bataillons. Les plus intrépides ou les premiers arrivés se jettent sur la face la plus proche des carrés; ils en essuient les feux, et laissent une meilleure chance à l’escadron qui suit. Partout où se trouve un point faible, il est forcé; on écarte ou l’on rompt les baïonnettes. Là où le sabre ne peut entrer, on se fait jour à bout portant à coups de pistolet.

L’artillerie seule, il semble, eût pu achever de démolir à mitraille et à brûle-pourpoint le réseau de carrés dont chacun sert d’appui à l’autre; il lui a été impossible de suivre les escadrons au-delà de l’escarpement de la position. Douze fois les charges recommencent; mais il y a une différence entre les nouvelles attaques et les précédentes : on ne s’élance plus indistinctement en masse sur l’ennemi dès qu’on l’aperçoit, comme s’il était déjà en fuite. Les mouvemens sont mieux combinés, plus réfléchis : d’abord on modère l’élan des chevaux, et ce n’est qu’en approchant de l’ennemi qu’on se jette sur lui à pleine carrière. Une partie reste en réserve pour fondre sur la cavalerie anglaise, dès que celle-ci débouche par les nombreux carrefours des lignes d’infanterie; l’autre partie s’acharne sur les divers échelons dont se compose la dernière ligne anglaise. Deux de ces échelons sont rompus; les autres, ployés, mutilés, tiennent encore.

Cette lutte inouïe s’étend alors jusque sur les pentes en avant d’Hougoumont. Les cuirassiers ont pénétré de ce côté entre le château en flammes et l’abatis qui ferme la route de Nivelle. De l’extrême gauche anglaise, l’effort a été ainsi porté successivement jusqu’à la droite; il n’est pas un point du centre qui ne soit assailli au