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V. — LES DEUX ATTAQUES DE LA GARDE.

Pendant ce temps, l’attaque du maréchal Ney contre le centre n’avait pas été abandonnée. Les masses de cavalerie dans les bas-fonds ne sont pas restées longtemps immobiles. Les cavaliers qui peuvent agir encore se distribuent en tirailleurs. Ils harcèlent l’ennemi, ils l’empêchent de respirer. Ils attirent à eux le feu des batteries; ils s’étendent en rideau pour protéger de leur dernier effort l’infanterie, épuisée comme eux, et qui de nouveau se jette en avant. C’est encore la division Quiot et la division Donzelot. L’une et l’autre à ce moment semblent renaître. Après leur désastre du matin, après un combat acharné de quatre heures, elles portent encore sur le front d’attaque tout le poids de la bataille. À ce moment, quel incident, quelle parole, quel ordre a aiguillonné ces braves et les a mis hors d’eux-mêmes? Ney court à d’Erlon et lui dit: « Toi et moi, nous devons périr ici, car tous deux, si la mitraille anglaise nous épargne, nous sommes destinés à être pendus. » Il semble que tous les soldats des divisions de gauche de d’Erlon aient entendu ces paroles, tant ils mettent de désespoir et de furie à renouveler leur attaque. Le souvenir de leur effort suprême a été longtemps confondu avec les derniers momens de la garde; c’est par l’aveu des historiens anglais qu’on peut restituer à cette portion de la ligne la gloire qui lui revient.

Les deux divisions ralliées sortent de la Haie-Sainte par toutes les issues. Elles se répandent en nuée de tirailleurs sur la pente des plateaux. Courbés dans les blés comme des moissonneurs, les soldats de Quiot et de Donzelot avancent jusqu’au-dessous de l’escarpement. Là ils couvrent de leurs feux les troupes harassées d’Alten, d’Ompteda, de Maitland. Ces feux hardis, incessans, succédant aux grandes charges, ne laissent pas à l’armée anglaise un intervalle de repos. Ils l’exténuent et la désespèrent. Ce fut comme un essaim de guêpes qui se jettent sur un corps abattu et sanglant. Tel fut le caractère de la bataille sur le front depuis cinq heures jusqu’à sept. Les Anglais avouent qu’à ce moment leur armée n’offrait plus qu’un lambeau de ce qu’elle avait été le matin. De tous côtés, les chefs envoyaient demander des renforts ; il ne restait, disaient-ils, de leurs corps que les squelettes. À ces demandes la réponse du duc de Wellington était uniforme : qu’il fallait rester jusqu’au dernier homme. Les brigades de Sommerset et de Ponsonby ne formaient plus que deux escadrons. Les bataillons étaient réduits à des poignées d’hommes. On n’entendait qu’un seul commandement : serrez les rangs! Du haut du plateau, Wellington apercevait au loin le