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soldats leur place, il forme deux bataillons en bataille, deux autres comme arcs-boutans, en colonnes sur la droite et sur la gauche : la seconde brigade suivra en échelons. C’est ce même ordre de bataille qui a été irrésistible au Tagliamento, dans la dernière journée des guerres d’Italie; c’est aussi la disposition de la division de Desaix au soir de Marengo. Qui sait si ces souvenirs ne brillèrent pas aux yeux de Napoléon à ce dernier instant de sa vie militaire? Le général Friant, qu’on emportait blessé, lui dit que tout allait bien sur le plateau, que l’ennemi serait infailliblement rompu dès que cette réserve déboucherait. Napoléon reprend espoir : il s’obstine à vouloir forcer la fortune.

La nouvelle colonne se composait du 1er bataillon de chasseurs, de deux bataillons du 2e de deux bataillons des 2e et 3e régimens de grenadiers. Sans s’inquiéter de ce qui se passe dans le reste de l’armée, elle s’avance seule, à son tour, vers le plateau déjà pris et abandonné tant de fois. Les troupes de Maitland, qui l’aperçoivent, se retirent en désordre par-delà l’escarpement; elles vont se reformer sur quatre rangs de profondeur. On a pu réunir un petit corps de cuirassiers français qui protègent d’abord l’attaque. Ces cuirassiers font un dernier effort contre les batteries anglaises; mais, trop affaiblis, ils sont renversés. La colonne se trouve encore une fois seule et sans soutien sur ses ailes. Le 52e régiment anglais en profite pour venir audacieusement se déployer sur le flanc gauche. En tête, elle a les masses encore profondes de Maitland, de Chassé, des gardes, sur sa droite la batterie Napier. C’est dans ce triangle qu’elle se jette tête baissée. Quand le régiment anglais l’eut débordée tout entière, il ouvrit son feu à brûle-pourpoint. La colonne surprise s’arrêta, et, déployant ses bataillons de gauche, elle répondit à la fusillade qui l’écrasait; mais alors la batterie de Napier se démasque sur son front à soixante pas et la mitraille. Au même instant, sur son flanc droit, elle essuie les décharges de la plus grande portion de la ligne des gardes anglaises. Ce n’était plus là un combat soumis aux chances de la guerre, mais une extermination. Le moment était venu où aucun effort de la bravoure humaine, aucune inspiration du soldat ne pouvait plus conjurer le désastre et remédier aux illusions obstinées du chef. Et pourtant c’est encore aujourd’hui un débat entre les Anglais et leurs alliés de savoir qui a porté les derniers coups à cette poignée d’hommes. On ne peut, ce me semble, disconvenir qu’une batterie des Hollando-Belges, celle de Vandermissen, ne soit venue aussi se démasquer à une portée de pistolet; elle vomit sa mitraille sur la colonne déjà écharpée, et contribua ainsi à lui arracher le champ de bataille. Cette gloire ne peut être refusée à ceux qui la réclament.