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tives. Le plus grand se mit à hurler, et le fou lui répondit : — Tu as faim, Sirimar ? Réjouis-toi, réjouis-toi, la chair ne manquera pas longtemps. Les nôtres arrivent. On va recommencer la bataille. — Puis il se leva, et toute la bande le suivit vers Hazlach. À son tour, le corbeau, jetant un cri rauque, déploya ses ailes et prit son vol dans l’azur pâle.

Robin écouta longtemps encore les hurlemens, qui s’éloignaient ; Ils avaient complétement cessé depuis plus de vingt minutes, et le silence de l’hiver régnait seul dans l’espace, lorsque le brave homme se sentit assez rassuré pour sortir de sa guérite et reprendre en courant le chemin de la ferme. En arrivant au Bois-de-Chênes, il trouva la ferme tout agitée. On était en train d’abattre un bœuf pour la troupe du Donon. Hullin, le docteur et Louise étaient partis avec ceux de la Sarre. Catherine Lefèvre faisait charger sa grande voiture à quatre chevaux de pain, de viande et d’eau-de-vie. On allait, on courait. Tout le monde prêtait la main aux préparatifs.

Robin ne put rien raconter à personne de ce qu’il avait vu. D’ailleurs cela lui paraissait à lui-même tellement incroyable, qu’il n’osait en ouvrir la bouche. Lorsqu’il fut couché dans sa crèche, au milieu de l’étable, il finit par se dire que Yégof avait sans doute apprivoisé jadis une nichée de loups, et qu’il parlait de ses folies avec eux comme on parle quelquefois à son chien ; mais il lui resta toujours de cette rencontre une crainte superstitieuse, et même dans l’âge le plus avancé le brave homme ne parla jamais de ces choses qu’en frémissant.


X.

Tout ce que Hullin avait ordonné s’était accompli ; les défilés de la Zorne et de la Sarre étaient gardés solidement ; celui du Blanru, point extrême de la position, avait été mis en état de défense par Hullin lui-même et les trois cents hommes qui formaient sa force principale. C’est là, sur le versant oriental du Donon, à deux kilomètres de Grandfontaine, qu’il faut nous porter pour attendre les événemens. Au-dessus de la grande route, qui longe la côte en écharpe jusqu’aux deux tiers de la cime, on remarquait alors une ferme entourée de quelques arpens de terre cultivée, la métairie de Pelsly l’anabaptiste, une large construction à toiture plate qui défiait de la sorte les grands courans d’air. Les étables et la basse-cour s’étendaient plus loin vers le sommet de la montagne.

Les partisans bivaquaient aux alentours ; à leurs pieds se découvraient l’immense vallée de la Bruche, Grandfontaine et Framont au-dessous, à une portée de canon, Schirmeck au tournant de la vallée et son vieux pan de ruines féodales. Enfin, dans les ondula-