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tées rapporte plus qu’une multitude de végétaux dont les exigences se combattent.

Ces réflexions n’accusent pas le principe même de l’acclimatation, en faveur duquel le giroflier, introduit à la Guyane vers 1777, sur la plantation la Gabrielle¸ est un heureux témoignage, qui fut justement consacré par un monument élevé dans l’ancien jardin public de Cayenne. On rapporte ordinairement au Lyonnais Poivre, intendant des îles de France et de Bourbon, l’honneur d’avoir dérobé aux Hollandais les arbres à épices et d’en avoir doté d’abord les colonies de la France, et par elles le monde entier. La justice de l’histoire doit associer à son nom ceux de Provost, ancien commis de la compagnie des Indes, et des marins Trémigon et d’Etchèvery, qui, munis des instructions de Poivre, ont en personne accompli deux voyages aux Moluques et enlevé des chargemens de giroflier et de muscadier malgré la jalouse surveillance des maîtres de ces îles. Si Poivre conçut et organisa la double expédition, ces trois voyageurs l’exécutèrent au péril de leur vie. Rapportés à l’Ile-de-France et aux Seychelles, les précieux plants furent ensuite envoyés à la Guyane, pour en assurer la conservation contre les risques de guerre ou de mortalité; de là ils se répandirent à la Martinique et à Saint-Domingue. Le giroflier s’est toujours depuis cette époque maintenu avec éclat autour de Cayenne, plus abondant en terre basse, plus aromatique en terre haute. Il ne décline depuis quelques années qu’à cause du bas prix où l’a fait tomber, entre autres concurrences, celle de Zanzibar : aussi la production, évaluée encore à 113,000 kilogrammes en 1837, quand le girofle se vendait 2 francs, est-elle tombée, vingt ans après, à moins de 80,000, valant à peine 50,000 fr., le prix n’étant plus que de 60 à 65 centimes.

Après ces articles principaux de la production guyanaise, on ne peut mentionner en denrées d’exportation comme des souvenirs ou des espérances, plutôt qu’à titre de revenus sérieux, que l’indigo, le tabac, la vanille et la soie; le reste des forces disponibles s’applique en fait d’alimentation aux vivres ou au bétail, en fait d’industrie au bois ou à l’or. Si le système qui présida à l’établissement des colonies ne les eût jetées dans des voies artificielles, l’économie rurale eût prescrit de débuter par la culture des vivres et l’élève du bétail, premiers et nécessaires alimens de toute population. Comme les sociétés européennes, les colonies auraient traversé la période pastorale et céréale (en étendant ce dernier mot aux grains et racines qui remplacent le blé sous les tropiques), pour atteindre la période industrielle. L’agriculture extensive, qui convient quand on a beaucoup de terres et peu de moyens de les exploiter, eût devancé l’agriculture intensive, qui suppose peu de terres avec beaucoup de