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patriote de Macieiowice voulait combattre les Russes de toutes les forces de son âme et de son esprit sans souiller une pensée de résurrection d’un meurtre contraire à toute l’histoire de Pologne. Deux ans plus tard, la révolution de 1831 avait déjà éclaté, un chef militaire qui s’était illustré sous l’empire, qui avait recueilli des mains du prince Poniatowski mourant le commandement de l’armée polonaise, mais qui depuis s’était tristement signalé par sa servilité envers la Russie, le général Vincent Krasinski, rentrant à Varsovie, était sur le point d’être massacré par une foule furieuse; il avait déjà la corde au cou. Niemcewicz se jeta au-devant de la populace; il pria, supplia, invoqua si énergiquement le souvenir de son compagnon Kosciusko, l’honneur de la patrie, qu’il arracha la victime au peuple. Il ne sauvait pas seulement un homme, qui d’ailleurs le lendemain était de nouveau un traître, il donnait peut-être à la Pologne un de ses plus énergiques poètes, Sigismond Krasinski, dont le génie serait resté étouffe sous le poids d’un crime populaire, et que la mort tragique de son père eût réduit au silence. Niemcewicz avait flagellé de sa satire le général Krasinski pour son vote complaisant dans le jugement de la conspiration de 1827; il le sauvait d’un emportement du peuple en 1831. Il était dans son rôle de dictateur de l’opinion, implacable pour le Russe, pour le servile du Russe, énergique à sauver l’honneur d’une révolution nationale.

Quand vinrent ces grands jours de la révolution de 1831, qui s’éclairent de ces quinze années de lutte, de cette double dictature de Constantin et de Niemcewicz, d’une commotion nouvelle de l’Europe, le vieux patriote était naturellement un des chefs de cette résurrection. Il avait soixante-treize ans déjà, et n’était pas moins actif. Il entra au conseil national créé dans le premier moment à Varsovie; mais la révolution polonaise n’avait pas seulement à former des conseils et des gouvernemens, elle avait à tenir tête à la Russie d’un côté, et de l’autre à négocier avec l’Europe, à chercher des amitiés, des appuis, s’il y en avait pour elle. Ce fut Niemcewicz qu’on envoya à Londres, et il y alla avec un jeune Polonais devenu aujourd’hui ministre en France, le comte Walewski. Il faut se souvenir de ce temps où tout était effervescence en Europe. De quoi s’agissait-il, à vrai dire, pour la Pologne? Il s’agissait pour elle de tenir son drapeau assez longtemps pour se fortifier des sympathies croissantes des peuples, pour que l’Europe, dans un intérêt de paix universelle, sinon dans un intérêt d’humanité, pût offrir une médiation. Les Polonais soutenaient vigoureusement la lutte contre la Russie, et Niemcewicz négociait à Londres; il négociait en représentant personnellement estimé d’une puissance qu’on ne reconnaissait pas, qu’on aimait théoriquement, dont on désirait peut-être le succès, et pour laquelle o\ ne voulait rien faire. Le journal que