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l’autorité d’enseigner qu’aux évêques et à leurs délégués. Les principes de Rome sont donc la contre-partie des idées qui président aux sociétés modernes, ou suivant lesquelles ces sociétés aspirent et travaillent à s’organiser. Quand le pape, dans sa dernière allocution, a lancé contre la civilisation contemporaine des condamnations qui retentissent encore, ce n’est pas une déclaration de guerre qu’il a jetée à l’esprit moderne : il a surtout constaté un fait. Cet antagonisme serait déjà très grave, s’il était renfermé dans la sphère de la spéculation pure ; mais il n’en est point ainsi : l’antagonisme qui existe entre la papauté et la constitution actuelle des sociétés catholiques éclate dans la pratique, le pape ayant un royaume dans ce monde et ne pouvant se dispenser de faire au gouvernement de son royaume de ce monde l’application des principes qu’il professe devant la chrétienté. Ou plutôt ne seraient-ce point les tristes nécessités de ce gouvernement temporel qui inspirent fatalement des proclamations si discordantes avec l’esprit du siècle ?

Il se passe en effet sous nos yeux dans les pays catholiques un phénomène qui à première vue autoriserait à penser que les anathèmes prononcés par les papes contre la civilisation moderne ne sont pas une impérieuse inspiration de la doctrine catholique et ne sont que la conséquence de la situation particulière de la papauté. Ne voyons-nous pas dans les pays catholiques les épiscopats et les clergés ou adopter et pratiquer avec une grande franchise les conditions de la civilisation moderne réprouvée par Rome, ou du moins s’y rallier tacitement ? Le clergé belge, quelles que soient d’ailleurs les prétentions qu’il cherche à faire prévaloir en usant des moyens que lui offre la constitution de son pays, ne peut-il pas être considéré comme ayant pleinement accepté ces institutions de la Belgique, qui sont sur notre continent le plus complet exemplaire de la liberté moderne ? Le clergé irlandais ne pousse-t-il point parfois jusqu’au radicalisme les exigences que les libertés anglaises lui permettent d’exprimer ? Le clergé piémontais n’était-il pas à peu près unanime dans sa fidélité au statut ? L’église de France n’a-t-elle pas, en se servant d’une presse libre, en obtenant le concours de la libre tribune, poursuivi avec une persévérance passionnée et définitivement conquis cette liberté d’enseignement dont les églises protestantes ont aujourd’hui chez nous le droit incontestable de réclamer le bénéfice ? Si la fibre libérale venait à s’émouvoir de nouveau en France, n’aurions-nous pas des auxiliaires au sein de l’épiscopat et parmi les catholiques dans les luttes qu’il faudrait soutenir pour conquérir l’entière liberté des élections, la liberté de la presse et la liberté d’association ? Les nobles et patriotes clergés de Pologne et de Hongrie, animés d’un saint zèle national, ne proclament-ils pas et