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Alors, prenez-y garde, ce n’est pas au nom de l’esprit de paix que vous parlez. Il ne vous est pas permis de dissimuler à vous-mêmes ni aux autres que le préliminaire obligé de votre transaction, c’est le renversement des résultats de la guerre de 1859, des annexions et des révolutions qui en ont été la suite, c’est le renversement d’une œuvre de trois années. Pour vous procurer l’occasion de faire un tardif et hypothétique appel à la conciliation, vous vous condamnez à commencer par faire un appel immédiat et certain à la violence. Voilà pratiquement la signification nécessaire de ces pensées vagues de restauration conciliatrice du pouvoir temporel auxquelles d’honnêtes esprits n’ont pas encore le courage de renoncer.

Mais il faut pousser à bout la confusion d’idées sur laquelle s’établit la décevante espérance d’une réconciliation de la papauté temporelle avec le libéralisme moderne. La réconciliation est impossible, parce qu’il n’est ni au pouvoir du libéralisme ni au pouvoir de la papauté de faire les concessions qu’on leur demande.

La dernière occasion qui se soit offerte de conclure un accord entre la papauté temporelle et le libéralisme moderne fut celle que présenta en 1849 notre expédition de Rome. Les principaux organes des partis libéraux dans l’assemblée législative firent alors à la cour de Rome des avances et des concessions que le libéralisme ne pourrait pas avouer, si l’on devait prendre au sens littéral le langage des orateurs de cette époque. La nécessité du pouvoir temporel fut proclamée par eux de la façon la plus formelle. Nous citerons parmi les discours qui furent prononcés en cette circonstance un passage du rapport célèbre de M. Thiers et un mot de M. Odilon Barrot qu’on n’a point oublié. M. Thiers établissait en ces termes la nécessité du pouvoir temporel : « Sans l’autorité du souverain pontife, l’unité catholique se dissoudrait ; sans cette unité, le catholicisme périrait au milieu des sectes, et le monde moral, déjà si fortement ébranlé, serait bouleversé de fond en comble. Mais l’unité catholique, qui exige une certaine soumission religieuse de la part des nations chrétiennes, serait inacceptable, si le pontife qui en est le dépositaire n’était complètement indépendant, si au milieu des territoires que les siècles lui ont assignés, que toutes les nations lui ont maintenus, un autre souverain, prince ou peuple, s’élevait pour lui dicter des lois. Pour le pontificat, il n’y a d’indépendance que la souveraineté même. C’est là un intérêt du premier ordre, qui doit faire taire les intérêts particuliers des nations, comme dans un état l’intérêt public fait taire les intérêts individuels, et il autorisait suffisamment les puissances catholiques à rétablir Pie IX sur son siège pontifical. » M. Odilon Barrot résuma l’argumentation de M. Thiers dans cette formule fameuse : « il faut que les deux pouvoirs soient