Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par de libérales concessions à leurs avances. Lors même qu’ils auraient eu des doutes sur la durée de la transaction à laquelle ils travaillaient, quand il leur eût été difficile de croire que la théocratie et la liberté pussent entrer en partage et vivre longtemps ensemble, ils préparaient en tout cas une transition qui pouvait amener un jour avec moins de violence la séparation des deux pouvoirs. Il nous paraît du moins que telle dut être en ce temps la pensée d’un homme éminent qui, ministre des affaires étrangères, prit naturellement une grande part à la direction des choses dans cette phase de la question romaine. Nous voulons parler de M. de Tocqueville, le seul peut-être des hommes d’état de notre temps qui ait apporté dans l’appréciation et la discussion des affaires publiques l’attention, la sagacité, la prévoyance et la conscience d’un esprit philosophique. M. de Tocqueville ne s’abusait évidemment ni sur la vitalité du pouvoir temporel ni sur le succès de la tentative à laquelle il travaillait lui-même. Il donna à l’expression de ses prophétiques défiances la forme et le ton du conseil : « Je suis convaincu pour mon compte, disait-il, et je ne crains pas d’apporter cette prédiction à la tribune, je suis convaincu que si le saint-siège n’apporte pas dans la condition des États-Romains, dans leurs lois, dans leurs habitudes judiciaires, administratives, des réformes considérables ; s’il n’y joint pas des institutions libérales compatibles avec la condition actuelle des peuples, je suis convaincu, dis-je, que quelle que soit la force qui s’attache à cette vieille institution du pouvoir temporel des papes, quelle que soit la puissance des mains qui s’étendront d’un bout à l’autre de l’Europe pour le soutenir, ce pouvoir sera bientôt en grand péril. J’en suis, quant à moi, profondément convaincu. »

Le succès du raccommodement essayé dépendait donc de l’accueil que ferait le saint-père à ces demandes de réformes et d’institutions libérales qui lui étaient adressées par ses protecteurs. Négligeons les circonstances dans lesquelles de semblables avertissemens ont été donnés au pape, et les formes sous lesquelles ces avis ont été répétés à diverses reprises. Il y a eu certainement dans la publicité des censures qui ont été ainsi prononcées sur le gouvernement pontifical bien des torts de procédés. On humiliait dans le pape le souverain, on lui enlevait d’avance la bonne grâce, le mérite et le profit des améliorations dont on aurait dû au moins lui laisser l’initiative apparente : il eût été un prince ordinaire, qu’on lui eût ôté par une telle conduite le goût et même le pouvoir d’accomplir ce que l’on avait l’air d’attendre de lui. Nous ne voulons pas justifier ces procédés, bien au contraire. Si nous nous laissions aller à récriminer contre ceux qui se sont mêlés des affaires romaines, nous accuserions d’une injustice plus cruelle encore pour la personne du pape