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plus énergique et plus efficace de séparation peut-il y avoir que la guerre ? La guerre, c’est la séparation même, compliquée des passions qu’elle développe et des justes sujets de haine réciproque qu’elle fournit aux deux adversaires. La guerre se prolongeant indéfiniment, c’est la séparation sans limite de temps, la séparation affaiblissant les intérêts anciens, créant des intérêts nouveaux, se fortifiant elle-même par cette puissance alternative de changement et de consolidation qui est inhérente à la durée. Quand deux parties belligérantes ne peuvent se porter avec promptitude des coups décisifs, il est manifeste qu’aucune des deux ne pourra faire la conquête de l’autre, et que la guerre devra se terminer par un traité de paix qui pourra bien diminuer le vaincu, mais qui reconnaîtra son indépendance. L’union du nord n’ayant pu avoir des succès décisifs, ayant au contraire essuyé un grave échec au début de la campagne, voilà la perspective qu’elle a devant elle. Nous ne parlons pas des graves altérations que les nécessités d’une longue guerre apporteraient dans les institutions des États-Unis. Comment soutenir une telle guerre sans armée permanente ? Les institutions américaines sont-elles compatibles avec l’existence d’une armée permanente ? Un grand établissement militaire ne doit-il pas donner aux Américains d’autres mœurs, d’autres ambitions, d’autres mobiles dans les carrières privées aussi bien que dans les carrières publiques ? Déjà la guerre n’exige-t-elle pas d’énormes taxes et d’énormes emprunts ? Par sa durée, elle imposera à l’Union la nécessité nouvelle de très gros budgets fédéraux et de grosses dettes publiques semblables à celles dont l’Europe connaît le poids ; mais des finances chargées, obérées, sont une autre cause d’altération pour les institutions américaines. Le lien fédéral serait inévitablement resserré par les nécessités financières : pour faire face à ses engagemens permanens, pour rester maîtresse des grandes ressources avec lesquelles elle devrait alimenter ses revenus, de fédérative la république ne tarderait pas à devenir unitaire. La république américaine ne serait plus celle que nous avons connue : tout ce qu’elle aurait de nouveau après sa transformation représenterait autant de pertes subies par sa liberté. Il est impossible que les hommes qui dirigent les destinées de l’Union américaine n’aient pas les yeux ouverts sur ces sombres perspectives. L’intérêt de leur pays, l’amour de leur constitution, l’honnête orgueil que doit leur inspirer le passé de leur patrie, les sentimens les plus hauts et les plus impérieux leur crient : il faut que la guerre soit courte. La guerre courte et ils manquent de cette organisation militaire qui peut seule permettre de porter à l’ennemi des coups rapides et décisifs. Leurs régimens n’ont pas de discipline et sont rongés par la désertion ; ils doutent de la capacité de leurs généraux ; leur armée a débuté par une défaite, et c’est à l’ennemi qu’est passée l’offensive. On s’explique par cette détresse deux résolutions auxquelles le gouvernement américain s’est laissé entraîner : menacer le sud de déchaîner la guerre servile, demander un général à l’Europe. Le général européen que les Américains sont venus chercher est Garibaldi. Le