Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette influence des milieux sur l’âme du voyageur paraît souvent d’autant plus sensible, d’autant plus efficace, qu’elle semble au premier abord ne tenir qu’une place secondaire dans ses préoccupations. Je n’en veux pour preuve que le récit fait par M. Maxime Du Camp de l’Expédition des Deux- Siciles[1], et que n’ont point oublié les lecteurs de la Revue. Est-il besoin de faire volontairement abstraction du côté militaire et politique de cette étonnante entreprise, d’oublier et Garibaldi et François II pour ne suivre que l’aide-de-camp du général Türr dans sa longue course à travers les Calabres? Non, cet isolement se fait de lui-même dans l’esprit du lecteur, comme il s’est fait, on peut le voir, dans l’esprit de l’écrivain sur les lieux mêmes, soit qu’il suive la route qui longe en zigzags les bords de la mer, et d’où la ville dont il se croyait loin apparaît tout à coup comme au fond d’un précipice, soit qu’il voie le paysage varier suivant les accidens de la montagne, les orangers et les citronniers succéder aux châtaigniers et aux fougères, les oliviers aux aloès et aux nopals. — « Ah ! se surprend-il à dire, je voudrais vivre là! — Vœu impie! » ajoute l’auteur. Pourquoi? Est-ce parce qu’il contient cette triste vérité, que nous ne vivons jamais plus réellement qu’à l’heure présente, fût-elle la plus misérable? Le livre de M. Du Camp est plein de ces intimes expansions que lui inspirent de charmans et limpides paysages dont aucun ne se répète, et qui pourtant ont entre eux un air de grande ressemblance. Et cette ressemblance ne vient pas, comme on pourrait le croire, de ce qu’ils appartiennent au même pays, mais de ce qu’ils apparaissent tous comme les nuances diverses d’un même sentiment, comme les faces successives d’une même pensée, d’une personne bien définie, malgré ses entraînemens rêveurs, — celle de l’écrivain empressé surtout d’être sincère.

Appliquer aux paysages de M. Du Camp les seules épithètes de vrais et de pittoresques serait donc les juger incomplètement. Il y a entre ces qualités de réalité et les qualités d’harmonie qu’ils présentent dans le livre toute la différence qui, aux yeux du peintre lui-même, sépare le site qu’il contemple et qu’il admire à l’état naturel de ce même site transporté sur la toile. Cette différence est toute dans l’interprétation, et l’interprétation est avant tout un fait de personnalité. Or la personnalité est une force si puissante qu’elle se révèle encore dans la seule et pure description des lieux, toutefois sous une condition indispensable, la sincérité. On ne peut la méconnaître par exemple dans les récits d’un ton si animé et si chaud que M. E. de Valbezen vient de publier sous ce titre : la Malle de l’Inde[2]. Ici l’on peut saisir au vif ce que l’esprit d’un romancier gagne à se retremper dans la vie de voyage. Certes le procédé de l’auteur n’est pas l’analyse. Il ne cherche pas à rassembler les différentes variations du site et à en faire saillir par un artifice de style le caractère dominant. Il dit les choses comme elles se sont

  1. 1 vol. in-12, Librairie-Nouvelle.
  2. 1 vol. iu-18, Michel Lévy.