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[1] ! Cependant la crise imminente éclaira Grouchy, et il fit ce qu’il eût dû faire dès le commencement de l’attaque. Il tourne Wavre à Limale. Là les hauteurs, s’abaissant brusquement sur la Dyle, favorisent une attaque impétueuse de la division Teste. Elle s’élance à l’improviste sur le pont, qui n’a pas même été barricadé ; elle le traverse. Deux divisions de Gérard la suivent au pas de course. Les trois bataillons et les trois escadrons prussiens qui gardaient le pont sont renversés. L’infanterie de Vichery et la cavalerie de Pajol couronnent les hauteurs perpendiculairement à tout le corps de Thielmann.

La nuit était arrivée ; le combat se prolongea longtemps encore. Au milieu de l’obscurité, les Prussiens tentent avec leur réserve de rejeter dans la Dyle les troupes de Pajol et de Gérard ; mais les ténèbres étaient déjà si profondes que les assaillans ne purent garder leurs lignes de direction. Ils se choquèrent les uns les autres, et se retirèrent vers le bois du Point-du-Jour. Grouchy bivaqua dans la position où il était, ses deux corps séparés par la Dyle. Il venait d’envoyer le général Berton avec sa cavalerie sur la route de Namur à Louvain, tant la pensée de chercher l’ennemi dans la direction de la Meuse persévérait encore chez lui longtemps après que l’événement avait décidé du contraire !

À minuit, dans Limale, Grouchy, sans nouvelles, projetait de faire à la pointe du jour un grand effort pour refouler l’ennemi ; il se rabattrait alors avec toutes ses forces vers l’empereur, qu’il supposait vainqueur, et il n’était pas sans espérance de réussir dans ce mouvement, quoiqu’encore incertain de n’avoir pas devant lui Blücher et Bulow. Ainsi la même action qui lui avait semblé impraticable le matin, quand elle était possible et que Gérard la conseillait, lui semblait avoir des chances de réussite depuis que l’empereur l’avait ordonnée et qu’elle était devenue impossible !

Plein de ces projets aventureux par lesquels il trompait son angoisse, Grouchy écrivit à minuit à Vandamme de venir le rejoindre en toute hâte sur la rive gauche. C’est au nom de la patrie qu’il l’adjure d’arriver sans retard pour concourir à l’effort décisif qu’il prépare. Comment de semblables paroles, en de semblables momens, peuvent-elles rester sans effets ? Vandamme ne vint pas ; il resta sourd à ces ordres supplians. Ses trente et un bataillons demeurèrent sur l’autre rive, en face de Wavre. Cette étrange inaction eut sans doute pour cause que les ponts étaient demeurés au pouvoir des Prussiens. D’ailleurs là aussi le combat s’était prolongé jusqu’à

  1. On a bien voulu, sur mes indications, mesurer exactement les distances de Sartles-Walhain à Planchenoit. C’est à MM. Lefebvre que sont dues ces intéressantes recherches sur les opérations de Grouchy.