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si pesant, ne manqua pas à la fortune dès que tout fut perdu et que l’excès des revers lui eut ôté l’incertitude. Il sait agir depuis que l’adversité, en le délivrant de l’embarras du choix, l’a délivré de la nécessité de délibérer. Il sait alors tromper l’ennemi, se hâter, lui dérober ses marches, toutes choses qu’il semblait avoir oubliées dans les hésitations des jours précédons. La calamité a fait luire le jour dans son esprit. Pour tromper Thielmann, il laisse son arrière-garde à Wavre, à Limale, jusqu’au soir. Sa feinte lui réussit : il gagne toute l’après-midi du 19. Lui qui n’osait faire un détachement en présence d’une armée battue, il se partage au milieu d’une armée partout victorieuse. Il tient à la fois la route de Gembloux et celle de Limale à Sombref. La cavalerie d’Exelmans, huit régimens de dragons le précèdent, ils vont bride abattue s’assurer de Namur. Hier tout était difficulté, impossibilité, les chemins, les guides, le temps, la pluie ; aujourd’hui les obstacles ont disparu. Est-ce bien le même homme qui s’arrêtait indécis à chaque croisée de route ? Il court, il a des ailes, tant il est vrai que les pires des obstacles, à la guerre comme ailleurs, sont dans l’obscurité de l’esprit. Mettez-y la lumière, tous les objets changent de face.

Trompé par cette retraite à la fois précipitée et mesurée, Thielmann n’en a eu connaissance que le soir du 19, entre Achtenrode et Louvain. Il ne commencera la poursuite que le 20, il n’atteindra Grouchy qu’à trois quarts de lieue de Namur : Pirch est déjà aux prises avec l’arrière-garde française ; mais l’infanterie de Vandamme a profité d’un bois qui couvre les abords de la ville, elle y arrête longtemps les Prussiens et leur tue plus de 1,200 hommes. Quand elle se retire avec le corps d’armée, la division du général Teste reste seule dans la ville ; elle y barricade les portes, les rues, les ponts qu’elle ne peut détruire. Cette faible division montra ce que peut faire, dans une circonstance extrême, une poignée de braves dirigés par un homme de cœur. Sans artillerie, elle repousse tous les assauts furieux des Prussiens. Les officiers ramassent les fusils des morts, des blessés ; ils redeviennent soldats. Le plus grand ordre est maintenu dans la ville. Les blessés, les munitions, les bagages sont déjà éloignés sur la ligne de marche. Quand il n’y a plus un seul caisson à sauver, le général Teste fait filer ses bataillons sur les parapets des ponts, à la rive droite de la Sambre. En même temps des masses de bois et de paille avaient été entassées sous les portes ; on y met le feu, cela retarde encore l’approche des Prussiens. On ne leur laisse prendre possession de Namur qu’à neuf heures du soir, désunis, excédés, incapables de suivre les Français. Teste se retire lentement par la route de Dinant jusqu’à Profondeville. Là il fait reposer sa division pendant trois heures. À minuit, il la remet en