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oblige à disparaître et à s’évanouir pour toujours le maître qui l’avait dispersée. La justice s’accomplit, mais en même temps la liberté va périr avec l’indépendance, tant il est vrai que des journées telles que le 18 brumaire, où la conscience d’une nation succombe, ne laissent après elles tôt ou tard que ruine et désastre pour ceux qui font ces journées et pour ceux qui les subissent ou les acclament.


III. — ABDICATION.

Quand il n’y a plus aucun principe en jeu, que tous ont été détruits les uns par les autres, alors vient pour un moment le règne d’une certaine espèce d’hommes qui sortent subitement de l’ombre ; ils s’apprêtent à perdre celui qui est perdu. M. de Talleyrand avait joué avec grâce ce rôle l’année précédente ; M. Fouché répéta le même rôle en 1815, mais avec audace et comme s’il n’était plus besoin de garder aucune précaution. Il s’était fait le ministre de Napoléon avec le parti-pris de lui rester fidèle s’il était le plus fort, de le précipiter et de l’achever s’il s’avisait d’être le plus faible. Et ce n’était pas de loin qu’il préparait ses trames, c’était dans l’antre même du lion qu’il ourdissait ses pièges et qu’il tendait ses toiles. Pendant les cent jours de cet étrange ministère, il est là, épiant si le maître qu’il sert, traqué par l’Europe, se relève ou s’abat, décidé dans le dernier cas à le livrer lui-même et à le châtier de sa défaite. Chose plus extraordinaire encore, Napoléon voit ces pièges ; il les voit et il les laisse se nouer autour de lui. Il sait quelles mains ourdissent ces trames, et il s’en laisse enlacer jusqu’au moment où il ne peut plus même tenter de se délier. Déjà enveloppé, il n’a pas un moment de révolte, pas une parole indignée. Il connaît, il mesure l’embûche et il y tombe sciemment ; il laisse faire jusqu’au bout son ministre, soit lassitude, soit dégoût de sa destinée, soit un reste de faiblesse pour le complice de son ancienne puissance, soit volonté de périr par l’instrument de sa domination passée, soit plutôt qu’il comptât sur la victoire pour rompre en un instant les fils d’araignée qui l’entouraient. Fouché dans un même moment conseillant, patronant, aveuglant et livrant Napoléon, c’est là une des grandes instructions de cette histoire qui en renferme tant d’autres.

Fouché eut le mérite de voir que Napoléon battu à Waterloo était frappé à mort ; de ce moment, toute délibération cessa : il ne s’agissait plus que de livrer sans péril celui qui avait le tort d’être le plus faible. Voici comment ce dernier dénoûment fut préparé.

Napoléon insistait encore sur la nécessité de dissoudre ou de proroger l’assemblée. Fouché combattit cet avis ; lui qui savait mieux que personne combien la chambre des députés était hostile, combien