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pas eu le temps de le perdre. Il avait au contraire grandi, parce qu’il ramenait son corps intact. On était prêt à lui tenir compte de sa fidélité comme d’une victoire.


VI. — MARCHE DE L’ENNEMI SUR PARIS.

Cependant rien n’arrêtait la marche des armées ennemies, et déjà elles se faisaient de la légitimité une machine de guerre ; car si l’on a pu dire que le retour des Bourbons n’était pas un des buts avoués de la coalition de 1814, on ne peut rien affirmer de pareil en 1815. Le surlendemain de la bataille de Waterloo, le duc de Wellington, dans l’orgueil de la victoire, adresse un ordre du jour à ses soldats, et il déclare que les souverains étrangers sont les alliés du roi de France. C’est donc bien pour les Bourbons que l’on a vaincu. Anglais, Prussiens, Hollandais, Hanovriens, tous ont une même cause, et cette cause est celle du roi légitime. Il faut, pour se tromper sur les intentions des ennemis, vouloir absolument être trompé. Dans le même temps, Louis XVIII, appelé par le général anglais, se rend au milieu de l’armée d’invasion. Il marche avec elle. Il somme de se rendre les places qui résistent, par exemple la citadelle de Cambrai, et elles se rendent : victoires funestes au vainqueur, car elles font du prince légitime un ennemi dès son premier pas. La maison de Bourbon paiera cher un jour ces faciles conquêtes.

Quant au duc de Wellington, il sentait tout ce que pouvait avoir de périlleux l’invasion de la France à travers les trois lignes de forteresses qui de ce côté couvraient ses frontières. Jamais elles n’avaient été violées. En 1793, on avait vu l’Europe victorieuse s’arrêter devant ces lignes, et, saisie de je ne sais quelle crainte superstitieuse, consumer à des sièges obscurs des armées de deux cent mille hommes sans gagner un pouce de terrain. Cette religion des frontières du nord de la France n’était pas entièrement tombée ; avant de l’affronter, le général anglais, pour se rassurer, voulut chercher son appui dans une opinion publique. Membre d’un état libre, il s’informait de l’esprit des chambres, de la division des partis, bien différent en cela de Blücher, qui ne demandait qu’à avancer, qui ne s’inquiétait ni des espérances, ni des craintes de la nation française. Quant aux partis, il se faisait gloire de les braver et de les haïr tous, quel que fût leur nom.

Ainsi les deux généraux ennemis s’entendirent pour exécuter le plan le plus téméraire, l’un parce qu’il avait trouvé un appui dans l’ancienne royauté, l’autre parce qu’il crut pouvoir se passer de toute prévoyance. Ils négligeront sur la Sambre ce qui reste de l’armée française, ils ne la suivront pas sur sa ligne de retraite à Laon, à Soissons, mais, laissant à la fois derrière eux et l’armée