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de village en village, les plus fidèles ou les plus signalés enterraient leurs armes et leurs drapeaux.

Au milieu de cette stupeur, toute la vie parut concentrée dans l’assemblée des représentans. C’était à elle de combler le vide laissé par Napoléon. Cette assemblée des cent-jours fut alors ce qu’elle pouvait être avec l’éducation reçue de quinze ans de silence, d’oubli, d’inaction morale : un désir de liberté, mais sans savoir laquelle ; la lassitude d’une longue servilité et l’impatience d’en sortir sans pouvoir dire par quelle route ; nulle tradition et pour ainsi dire nul souvenir, car personne n’aurait osé rappeler les traditions de la révolution, même dans ce qu’elle avait de meilleur, et se rattacher à ces grands jours ; ils avaient été oblitérés par tant d’injures encore récentes ! De là une assemblée où personne ne se connaît, fille de la révolution française et n’osant l’avouer ; nul principe déclaré, nul étendard déployé, nul chef de parti qui osât se faire des partisans ; les meilleurs, fidèles à leur passé, mais en secret, et sachant bien que nul ne les suivrait, s’ils osaient l’invoquer ; pour les autres, des hommes nouveaux, formés en plein esclavage, étonnés d’être libres, bientôt effrayés de n’avoir plus de maître, empressés à en chercher un autre, comblant ce vide tumultueusement, aveuglément par le nom d’un enfant, Napoléon II, dans les mains de l’ennemi, et ne faisant rien pour que cette déclaration devienne sérieuse ; les plus avisés certains que ce n’est là qu’un leurre pour amuser les regrets de l’armée et du peuple ; le plus grand nombre se complaisant dans une demi-duperie où s’abritait leur conscience : tous voyant ou pressentant que la restauration du droit divin était au fond de leurs œuvres, mais croyant avoir assez fait contre lui parce qu’ils ne l’avaient pas nommé.

On ne peut rattacher cette assemblée par aucun lien à nos grandes assemblées nationales de la révolution, qu’elle tint toujours à honneur de répudier. Elle aurait eu honte de se dire républicaine, elle qui avait renversé le destructeur de la république. Ni républicaine, ni bonapartiste, ni royaliste, qu’était-elle donc ? Il lui eût été impossible de le dire. Rien au monde de semblable à l’embarras de cette assemblée quand elle se trouva n’avoir plus de maître. Elle n’osa avouer qu’elle était libre. Quand on lui demandait au nom de qui elle rendait les lois, elle ne savait que répondre. Dans ce vide profond des chambres qui n’osaient même se souvenir des temps antérieurs au 18 brumaire, une voix s’écria avec ironie : « Pourquoi ne nous proposez-vous pas une république ? » Ce mot jeta une clarté subite dans les esprits troublés. Tous sentirent qu’il n’y avait en effet de possible que le droit commun ou la restauration ; le premier faisant peur par son nom seul, chacun se prépara en secret à accepter la restauration du droit divin, qu’il proscrivait en public. Le seul