Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/567

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Italiens, des Espagnols, que l’obéissance passive était la continuation de la liberté, que les institutions de Charlemagne étaient les institutions de la constituante ? Grâce à une éducation particulière qui nous avait isolés du genre humain, nous avions pu nous pénétrer péniblement de ces maximes ; mais quand même les étrangers eussent compris ces choses bizarres, quel prestige pouvaient-elles exercer encore sur eux ? Ce que l’on appelle les idées nouvelles présentées sous la figure d’un maître absolu leur parut ce qu’il y avait de plus vieux et de plus insupportable. Et en effet il n’est pire chose au monde que la servilité qui se donne comme l’image de l’indépendance. À toutes les revendications de la liberté nous avions eu beau opposer le code civil ; les universités de Prusse et d’Allemagne nous avaient répondu par la bouche des Fichte, des Goerres, des Jahn, des Thibaut, que le code de Justinien lui-même n’avait pas eu la prétention de remplacer la vie morale, libre, détruite par l’empire de Byzance, et ils ajoutaient « qu’il n’était pas une des maximes de 1789 qui n’eût été abandonnée ou reniée, que cent jours n’avaient pas changé l’ouvrage de quinze ans, et qu’on n’avait plus affaire à la révolution française. » Nous nous trouvâmes ainsi désarmés plus encore que par nos défaites, car nos simples maximes avaient été remplacées par des contradictions telles que celle-ci : « que la liberté s’établit par le despotisme. » Dans cette idée fausse devait succomber deux fois la France près de sa perte, en 1814 et 1815[1]. Le monde entier lui-même y périrait, si l’on pouvait réussir à l’armer pour ces subtilités.

Louis XVIII reparut, et comme si on eût voulu marquer que la guerre seule avait tout fait, il rentra dans Paris le lendemain même du jour où les Anglais et les Prussiens en, avaient pris possession. Rien ne dissimulait plus les armes étrangères. Le roi n’avait plus, comme en 1814, des rois pour compagnons et pour introducteurs. L’empereur Alexandre n’était plus là pour se faire pardonner la victoire par ses sourires. C’étaient des généraux ennemis, couverts du sang nouvellement versé qui ouvraient le chemin. L’un d’eux menaçait déjà de renverser les monumens qui lui rappelaient ses défaites.

Ainsi nul artifice ne dissimulait aux yeux les dures conditions de la force et de la nécessité. Elles apparaissaient dans toute leur rigueur en dépit des acclamations. On oublia même d’aller, comme l’année précédente, à l’église de Notre-Dame rendre grâces à Dieu de ce trône reconquis ; mais on se hâta vers le palais des Tuileries

  1. « Il n’y a plus de France tant que les armées étrangères occupent notre territoire. » (Mme de Staël, Considérations sur la révolution française.)