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générale, la direction du gouvernement, l’état des partis. L’idée me vint que c’était peut-être une sorte de recommandation qu’il adressait à mon amitié. » Ce début, qui rappelle la manière des historiens de l’antiquité, nous apprend avec une simplicité de bon goût quelle a été l’origine de ce livre.

Royer-Collard aurait aujourd’hui bien près de cent ans ; les ombres commencent à s’étendre sur sa mémoire. Tout ce qu’il a défendu est tombé, tout ce qu’il a combattu est vainqueur. Il aimait l’antique maison de Bourbon, la monarchie constitutionnelle, la discussion parlementaire, la liberté réglée de la presse et de la parole, le suffrage restreint, le règne paisible des lois ; il détestait la révolution, la république, l’empire, les coups d’état, le règne de la force, le suffrage universel, qu’il accusait de n’être que la force sous un autre nom. Il eût été bien malheureux depuis quinze ans, hâtons-nous de dire qu’il l’eût été trop. Il n’était pas exempt d’exagération, de pessimisme, et l’énergie superbe de ses convictions lui grossissait à la fois le bien et le mal. Ses idées n’ont pas aussi complètement péri qu’elles en ont l’air ; l’apparence les condamne, la réalité leur est moins contraire. Ce n’est pas en vain que trente ans d’un gouvernement libre et régulier ont passé sur la France ; les habitudes et les mœurs en ont gardé l’empreinte encore plus que les lois. Ce n’est donc pas peine perdue que de suivre M. de Barante dans cette biographie politique d’un homme qui a régné par la pensée, et dont l’esprit ne s’est pas tout à fait retiré de nous.


I

Né en 1763, Royer-Collard venait d’avoir vingt-cinq ans, quand commença le drame révolutionnaire. Alors avocat au parlement de Paris, il fut un moment membre et secrétaire du conseil de la fameuse commune ; après le 10 août, il se hâta d’en sortir. Le spectacle dont il fut témoin à cette terrible époque lui laissa une impression qui ne s’effaça jamais. Après avoir échappé par miracle aux poursuites du comité de salut public, il se signala en 1796 par une protestation vigoureuse contre le maintien des réquisitions sous une constitution qui posait en principe la liberté des personnes et le respect des propriétés. L’année suivante, il fut élu député au conseil des cinq-cents par l’assemblée électorale du département de la Marne. Le discours qu’il prononça le 14 juillet 1797 doit être considéré comme le point de départ de sa vie politique ; il s’agissait d’obtenir la réparation d’une des plus odieuses violences de la révolution, la révocation des lois qui prononçaient la déportation ou la réclusion des prêtres, lorsqu’ils avaient refusé de prêter serment à