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être en tout cas une puissante gymnastique pour l’esprit, car Royer-Collard lui doit sans aucun doute cette élévation de style et de pensée qui a fait son succès comme orateur politique. Il a été à la tribune un philosophe, ramenant tout, comme les législateurs de l’antiquité, à des principes généraux et en tirant des déductions rigoureuses ; c’est par là qu’il a longtemps dominé les intelligences. Dans le parlement d’Angleterre, où règne avant tout l’esprit pratique et positif, ce genre d’éloquence aurait moins d’ascendant ; mais le génie français aime l’enchaînement logique et le ton souverain.

Avec la restauration commence sa grande carrière politique. S’il ne fut pas précisément un des rédacteurs de la charte de 1814, il eut une assez grande influence sur les principales mesures qui suivirent la rentrée des Bourbons. M. de Barante lui attribue surtout l’ordonnance du 7 février 1815 sur l’instruction publique, qui transformait complètement le régime de l’université impériale en instituant dans les provinces dix-sept universités. « Il nous a paru, disait l’exposé des motifs, que le régime d’une autorité unique et absolue était incompatible avec les intentions libérales de notre gouvernement ; que cette autorité, essentiellement occupée de la direction de l’ensemble, était en quelque sorte condamnée à négliger cette surveillance journalière qui ne peut être confiée qu’à des autorités locales, mieux informées des besoins et plus directement intéressées à la prospérité des établissemens placés sous leurs yeux ; que le droit de nommer à toutes les places, concentré dans les mains d’un seul homme, en laissant trop de chance à l’erreur et trop d’influence à la faveur, affaiblissait le ressort de l’émulation et réduisait les maîtres à une dépendance mal assortie à l’honneur de leur état et à l’importance de leurs fonctions. » Il est fort à regretter que ce système n’ait pas été essayé. La révolution du 20 mars en empêcha l’exécution. Au retour du roi, Royer-Collard abandonna ce premier projet et y substitua le maintien pur et simple de l’université impériale, en transportant les fonctions de grand-maître à une commission de l’instruction publique dont il devint le président.

Nommé député de la Marne à la chambre de 1815, le premier discours qu’il y prononça eut pour but de défendre l’inamovibilité de la magistrature, attaquée par la réaction ultra-royaliste. M. de Barante, ordinairement si modéré, a des termes amers pour caractériser la violence de cette réaction. « Lorsqu’on se rappelle cette époque, dit-il, on a peine à en croire ses propres souvenirs ; on voudrait douter de ce qu’on a vu et entendu. » La commission de la chambre des députés, saisie par le roi d’une proposition d’amnistie, voulut y introduire des exceptions et des catégories ; Royer-Collard s’opposa à ces amendemens, inspirés par la vengeance. « La nécessité