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régime aveugle et insolent de la censure, qui confond l’innocent et le coupable dans la même oppression.

Quand vint le tour de la loi des élections, Royer-Collard avoua aussi qu’il fallait y faire quelques changemens. « Dans les circonstances présentes, dit-il, la loi de 1817, coupable ou non, doit être modifiée, parce qu’il est dû quelque respect aux inquiétudes qu’elle excite. » Son constant ami Camille Jordan proposa donc un amendement qui supprimait le vote au chef-lieu de département et instituait les collèges d’arrondissement. Présenté avant l’assassinat du duc de Berri, cet amendement l’aurait certainement emporté, puisqu’il ne fut rejeté, même au milieu du trouble des esprits, que par une majorité de dix voix ; la fameuse loi du double vote passa dans l’entraînement de la réaction.

Ainsi toutes les œuvres de Royer-Collard étaient renversées à la fois par cette même chambre où il avait longtemps dominé. Il trouva des accens énergiques pour qualifier le système qui commençait. « Ce système, je le crois infiniment dangereux ; je crois qu’il ébranle la monarchie, et puisque je le crois, je dois le dire. Les lois d’exception sont des emprunts usuraires qui ruinent le pouvoir, alors même qu’ils semblent, l’enrichir. » La discussion de la nouvelle loi des élections lui fournit l’occasion d’une de ces démonstrations brillantes et subtiles où se complaisait son talent. Il célébra en termes magnifiques le principe d’égalité que devait représenter la chambre élective en présence de l’inégalité sociale consacrée par la chambre des pairs. On lui répondit que lui-même admettait des exceptions à ce principe, et que l’égalité prise au pied de la lettre entraînait la souveraineté populaire et le suffrage universel. Il se défendit contre cette conséquence avec un grand appareil de distinctions métaphysiques. Il eût mieux fait de dire tout simplement que le droit d’élire commençait et finissait à ses yeux avec la capacité de choisir, toutes ces formules obscurcissant mal à propos une idée assez claire par elle-même. Il fut plus net et plus incisif quand il dit : « Qu’il y ait parmi nous des factions, on n’en saurait douter ; elles marchent assez à découvert, elles avertissent assez de leur présence. Il y a une faction, née de la révolution, de ses mauvaises doctrines et de ses mauvaises actions, qui cherche vaguement peut-être, mais qui cherche toujours l’usurpation, parce qu’elle en a le goût encore plus que le besoin. Il y a une autre faction, née des privilèges, que l’égalité indigne, et qui a besoin de la détruire. Si notre malheureuse patrie doit encore être déchirée, ensanglantée par elles, je prends mes sûretés ; je déclare à la faction victorieuse, quelle qu’elle soit, que je détesterai sa victoire ; je lui demande dès aujourd’hui de m’inscrire sur les tables de ses proscriptions. »