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légitimité des rois ; pour les autres, dans la souveraineté des peuples. Ce ne sont pas là des principes, ce sont des moyens. Le but de toute association politique, c’est le respect des personnes et (les propriétés, la défense du faible contre le fort, c’est-à-dire la justice. Voilà le véritable principe, celui qui sert à juger tous les autres. Le meilleur gouvernement n’est pas celui qui découle logiquement de telle ou telle doctrine, mais celui qui garantit le mieux aux gouvernés la sûreté des personnes et des propriétés. On a vu tous les droits foulés aux pieds sous des monarchies et sous des républiques ; on a vu la justice et la liberté fleurir sous les unes comme sous les autres. Souveraineté populaire et légitimité, aristocratie et démocratie, monarchie et république, ces éternels débats ont leur importance ; mais quand on leur donne la première place, la forme emporte le fond. À juger la restauration par ses effets, on ne peut que la placer très haut ; même dans ces dix années où un parti hostile aux droits nouveaux avait pris le pouvoir, telle était l’action souveraine des principes généraux posés par la charte que la France prospérait, se fortifiait, plus qu’à aucune autre époque de son histoire. La véritable cause de cette grandeur n’était pas la légitimité, mais la charte, et on allait en avoir la preuve. Si haut que la restauration ait porté la France, la monarchie de juillet devait la porter plus haut encore.

Pendant les intervalles que lui laissaient ses devoirs politiques, Royer-Collard se retirait à la campagne, dans une terre qu’il possédait du chef de sa femme en Béni, près de Valençay. Là il vivait dans une solitude presque complète, ne voyant guère que son voisin, le prince de Talleyrand, quand il y était ; M. de Barante vivant de son côté en Auvergne, ils s’écrivaient. Nous devons à M. de Barante quelques fragmens de cette correspondance. Les lettres de Royer-Collard portent l’empreinte d’un esprit inquiet et chagrin, mais vigilant et perspicace. Il ne cesse de se préoccuper de l’avenir, qui lui paraît obscur et redoutable. Quand la catastrophe arriva, il l’avait prévue depuis longtemps, sans pouvoir l’empêcher. « Moi aussi, dit-il au premier moment, je suis parmi les vainqueurs ; mais la victoire est bien triste. » Il ne pouvait dire moins. En se représentant devant les électeurs de la Marne, il exprima avec une justesse parfaite les motifs qui l’y déterminaient : « Les révolutions, nous l’avons éprouvé, vendent cher les avantages qu’elles nous promettent. La postérité jugera si celle-ci était inévitable, si elle pouvait s’opérer à d’autres conditions ; pour nous, hommes du présent, elle est accomplie. Un nouveau gouvernement s’est élevé, adopté par la France, reconnu par l’Europe ; il a pour lui le plus puissant des titres, il est nécessaire. Par là sont marqués les devoirs de tous. Nous sommes appelés à consolider, à revêtir de la