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peut avoir trop usé de la chambre des pairs comme corps judiciaire ; mais en agissant ainsi, il ne violait aucun principe. De tout temps et par tout pays, il y a eu un tribunal particulier pour juger les attentats contre la sûreté de l’état, et s’il n’était pas nécessaire de lui déférer les attaques commises par la voie de la presse contre le principe du gouvernement, on ne ’pouvait voir non plus aucune énormité à l’en saisir. Il n’y a pas aujourd’hui un seul écrivain qui ne vît avec bonheur la presse ramenée aux conditions de la loi de septembre et l’attaque contre le principe du gouvernement déférée à la haute cour. Royer-Collard pouvait signaler les inconvéniens politiques du rôle attribué à la pairie, inconvéniens réels et sensibles, sans parler de sa défiance pour ses anciens amis et sans accuser la loi d’un défaut de franchise. Cette loi n’avait rien de clandestin, elle expliquait parfaitement ce qu’elle entendait par attentat, et, à tout prendre, le mot n’était pas trop fort pour désigner les fureurs de langage qui venaient de se traduire par le crime le plus sauvage et le plus effrayant.

Heureusement la fin du discours de Royer-Collard était plus belle et plus juste que le commencement ; il y signalait avec force les causes du désordre des idées. « Le mal est grand, il est infini ; mais est-il d’hier ? Enhardi par l’âge, je dirai ce que je pense, ce que j’ai vu. Il y a une grande école d’immoralité ouverte depuis cinquante ans, dont les enseignemens, bien plus puissans que les journaux, retentissent dans le monde entier. Cette école, ce sont les événemens qui se sont accomplis presque sans relâche sous nos yeux. Repassez-les ; le 6 octobre, le 10 août, le 21 janvier, le 31 mai, le 18 fructidor, le 18 brumaire ; je m’arrête là. Que voyons-nous dans cette suite de révolutions ? La victoire de la force sur l’ordre établi, quel qu’il fût, et, à l’appui, des doctrines pour la légitimer. Nous avons obéi aux dominations imposées par la force ; nous avons reçu, célébré tour à tour les doctrines contraires qui les mettaient en honneur. Le respect est éteint, dit-on : rien ne m’afflige, ne m’attriste davantage, car je n’estime rien plus que le respect ; mais qu’a-t-on respecté depuis cinquante ans ? Les croyances sont détruites ! mais elles se sont détruites, elles se sont battues et ruinées les unes les autres. Cette épreuve est trop forte pour l’humanité, elle y succombe. Est-ce à dire que tout soit perdu ? Non, tout n’est pas perdu ; Dieu n’a pas retiré sa main, il n’a pas dégradé la créature faite à son image ; le sentiment moral qu’il lui a donné pour guide, et qui fait sa grandeur, ne s’est pas retiré des cœurs. Le remède que vous cherchez est là et n’est que là. » On retrouve ici le grand philosophe politique, indiquant à l’a fois la source du mal et le seul remède vraiment efficace. Royer-Collard s’y plaçait à ce