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premiers, puis les tentes et leur service, puis les domestiques et les cuisiniers, montés sur des baudets, enfin nous-mêmes sur nos mules ou nos dromadaires. Le soleil ne se montrait pas encore, et s’annonçait seulement par quelques lueurs rougeâtres. La silhouette de la caravane, dominée par les têtes de chameaux, se découpait sur le ciel. Nous étions loin de l’Abbassieh, lorsque le radieux soleil du matin éclaira tout d’un coup ce désert, rendu célèbre par la Bible et la verte plaine d’Héliopolis.

Les impressions de cette première marche furent douces. L’air était limpide et léger, la matinée semblait sourire et ne permettre à l’esprit que des pensées joyeuses. Comme nous regardions la plaine, un dromadaire apparut, venant au grand trot. C’était un de nos kawas laissé au Caire pour attendre le courrier. Il nous apportait des nouvelles de nos familles. Nous entreprenions donc notre expédition sans inquiétude et pleins d’ardeur.

Notre petite armée marchait à travers la plaine de sable, tantôt en longue file qui se perdait à l’horizon, tantôt fractionnée par bandes. Nous avions presque tous quitté les mules pour monter à dromadaire. On sait les dangers comiques de cette ascension. L’animal, accroupi, se relève dès qu’il sent un poids quelconque sur la selle ; il faut donc se hâter de prendre son équilibre, sans quoi les trois soubresauts par lesquels il se dresse sur ses jambes vous exposent à une chute ridicule. Le pas est un balancement violent qui cause souvent le mal de mer ; le trot occasionne les premiers jours une atroce courbature. L’amble seul est fort doux, mais il faut avoir quelque expérience pour maintenir sa bote à cette allure. Nos dromadaires étant ceux du vice-roi, on ne peut se figurer avec quel luxe ils étaient ornés. Je vais décrire le mien. Deux pommeaux élevés et couverts d’argent sont fixés l’un devant l’autre ; entre les deux on s’assoit ; les jambes sont croisées autour du pommeau et s’appuient sur la partie antérieure de la bosse. La bride est une corde de soie de diverses nuances, qui s’attache à un caveçon de chanvre ou de fer pressant les cartilages du nez. On dirige la bête à droite ou à gauche en touchant sa tête avec un bâton et tirant la corde de l’un ou l’autre côté. Je suis assis sur une peau de chèvre angora dont la toison est teinte en rose. Un tapis de drap garnit la selle entière ; elle est couverte de mille dessins. De toutes parts tombent des sacs de canevas longs et étroits, destinés aux pipes et entièrement cachés sous une série de rectangles brodés d’or et d’argent comme des ornemens sacerdotaux. De chaque côté sont suspendues de vastes sacoches pour l’utilité du cavalier. Le tout est terminé par une frange de glands éclatante. Sous notre ciel, las yeux seraient éblouis par ce fracas de couleurs. Pour définir l’impression qu’elles produiraient, il faudrait avoir recours à la métaphore de ce Romain qui comparait