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récent de la nature. Les roches aux formes les plus bizarres étaient suspendues au flanc des montagnes ou amoncelées dans la vallée. Les plus hautes, dont les vents furieux rongeaient les parties tendres, paraissaient couvertes de blessures, et un ruisseau de sable, rougeâtre comme une poussière sanglante, en découlait. Couché à l’ombre de mon dromadaire accroupi, j’attendais la caravane à l’écart pour jouir du spectacle de cette troupe d’êtres vivans qui venaient animer tout à coup un tel désert. Elle passait brillante de couleurs au pied des murailles de porphyre écarlate ; les échos étaient éveillés par les causeries des Arabes et la voix monotone des guides chantant quelques refrains de leur patrie ; puis je la voyais s’enfoncer dans une gorge, et, menue comme une armée de fourmis, disparaître dans une fente de rocher. Cette fente semblait l’entrée de quelque mystérieux empire, elle aurait inspiré un poète ancien décrivant les portes du Ténare. Le bruit des voix s’éteignait ; la solitude que la caravane venait de traverser comme une apparition me paraissait alors si morne, si désolée, que j’en avais le cœur serré, et je rejoignais à la hâte mes compagnons.

Le soir, je me plaisais à gravir quelque colline élevée pour jouir du coucher du soleil. J’apercevais parfois un lambeau de la Mer-Rouge et les monts d’Afrique, reconnaissables aux reflets d’azur que la mer leur envoie ; puis, abaissant les yeux sur notre camp, je contemplais nos quatorze tentes, les feux qui s’allumaient, nos chameaux déchargés et mis en liberté, paissant les arbustes du désert, les sais dormant près de leurs mules ou de leurs baudets. On aurait cru voir le campement d’un peuple pasteur. Nous poussions devant nous un troupeau de moutons pour notre nourriture, et le nombre des animaux de toute espèce était si grand, que la vallée en paraissait couverte. Jamais aussi pompeuse caravane n’avait visité les moines du Sinaï.

Quoique l’aridité la plus sévère soit le caractère général de la contrée, on rencontre parfois une oasis. Le 18 mars, vers le milieu du jour, nous étions arrivés dans l’Ouadé-Garaundel, l’Elim de la Bible. Au détour d’une colline, nous passâmes subitement du désert dans un bois de tamarix et de palmiers. « Descendez, nous dit-on, nous allons faire boire les dromadaires. » Je cherchais en vain des yeux quelque source, lorsque les saïs et les chameliers se mirent à gratter la terre de leurs mains. Les lapins creusent ainsi leur terrier. La Vallée fut percée de trous comme un crible. Au fond de chaque trou, l’eau se montra, puis les bêtes s’agenouillèrent pour y plonger leur nez. On aurait pu mourir de soif en ce lieu sans se douter que l’on avait une nappe d’eau sous les pieds. Cette nappe explique la végétation, bien que le terrain soit du sable ; mais où