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— Ils sont tous sortis de la terre ! s’écria tout à coup Yégof, tous, tous ! Il n’en reste plus ! Ils vont ranimer le courage de mes jeunes hommes et leur inspirer le mépris de la mort ! — Et relevant sa face pâle, empreinte d’une douleur poignante : — Ô femme, dit-il en fixant sur Wetterhexe ses yeux de loup, descendante des valkiries stériles, toi qui n’as pas recueilli dans ton sein le souffle des guerriers pour leur rendre la vie, toi qui n’as jamais rempli leurs coupes profondes à la table du festin, ni posé devant eux la chair fumante du sanglier Sérimar, à quoi donc es-tu bonne ? À filer des linceuls ? Alors prends ta quenouille et file jour et nuit !… Des milliers de hardis jeunes hommes sont couchés dans la neige. Ils ont vaillamment combattu… Oui, ils ont fait leur devoir ; mais l’heure n’était pas venue !… Maintenant les loups se disputent leur chair ! — Puis, d’un accent de rage épouvantable, arrachant sa couronne à deux mains avec des poignées de cheveux : — Oh ! race maudite ! hurla-t-il, tu seras donc toujours sur notre passage ? Sans toi, nous aurions déjà conquis l’Europe… Les hommes roux seraient les maîtres de l’univers !… Et je me suis humilié devant le chef de cette race de chiens !… Je lui ai demandé sa fille, au lieu de la prendre et de l’emporter, comme le loup fait de la brebis !… Ah ! Huldrix, Huldrix !… Écoute, écoute, valkirie ! ajouta-t-il.

Il levait le doigt d’un air solennel. Wetterhexe écouta : un grand coup de vent venait de s’élever dans la nuit, secouant les vieilles forêts chargées de givre. Combien de fois la sorcière avait-elle entendu la bise durant les nuits d’hiver sans même y prendre garde ! Alors elle eut peur, et comme elle était là, toute tremblante, voilà qu’un cri rauque se fit entendre au dehors, et presque aussitôt le corbeau Hans, plongeant sous la roche, se mit à décrire de grands cercles à la voûte, agitant ses ailes d’un air effaré et poussant des croassemens lugubres. Yégof devint pâle comme un mort. — Vôd, Vôd, s’écria-t-il d’une voix déchirante, que t’a fait ton fils Luitprandt ? Pourquoi le choisir plutôt qu’un autre ?

Et durant quelques secondes il resta comme anéanti ; mais tout à coup, transporté d’un sauvage enthousiasme et brandissant son sceptre, il s’élança hors de la caverne. Deux minutes après, Wetterhexe, debout à l’entrée de la roche, le suivait d’un regard anxieux. Il allait droit devant lui, le cou tendu, le pas allongé ; on aurait dit une bête fauve marchant à la découverte. Hans le précédait, voltigeant de place en place. Ils disparurent bientôt dans la gorge du Blutfeld.