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fine, égale, d’un vert admirable et d’une teinte parfaitement uniforme. À mi-côte des prés jaillit d’ordinaire quelque source dont l’eau, recueillie d’abord dans des auges en pierre couvertes de fougères et de mousses, descend ensuite en filets d’argent la pente des collines. Pas un champ labouré, pas un sillon n’interrompt le tapis de velours qui s’étend partout, et qu’envierait même l’émeraude des mers, la verte Érin. Des haies vives où croissent des chênes, des peupliers, des frênes, divisent cette pelouse immense en pâturages de 1 ou 2 hectares d’étendue, et y forment des groupes boisés dispersés çà et là comme pour l’ornement d’un parc anglais. Toute la contrée est verdoyante. Sous le bleu du ciel, l’œil ne rencontre que le vert des prés et les mille nuances de la même couleur qui caractérisent les diverses essences, sauf lorsque le mois de mai vient parsemer les arbres fruitiers qui entourent les maisons de « cette neige odorante du printemps » dont parle le poète. Tout le pays est un verger continuel où paissent de magnifiques vaches au pelage tacheté. On n’entend ni le roulement des voitures, ni la voix du laboureur pressant ses attelages, ni le bruit cadencé du fléau battant en grange. Nulle activité apparente. Sans la régularité et l’ordre qui trahissent la main de l’homme, on dirait qu’il n’habite point ces lieux paisibles, et sa demeure même disparaît invisible sous le feuillage des pommiers. C’est vraiment le théâtre d’une églogue virgilienne, et les produits qu’on recueille sont exactement ceux dont parlaient les bergers dans la campagne de Mantoue, mitia poma et pressi copia lactis, des pommes douces et du fromage.

L’économie rurale n’embrasse ici que les opérations les plus simples de la vie pastorale : cueillir les fruits quand le soleil les a mûris sur l’arbre, traire les vaches quand leur pis s’est rempli de lait, voilà toutes les occupations du fermier. Il ne doit songer ni à labourer ni à semer. Peu lui importe le perfectionnement des instrumens aratoires, il n’en a pas besoin. Il n’a rien à craindre ni de l’intempérie des saisons, ni des vents, ni des pluies, ni de la grêle : c’est tout au plus si un été trop sec, en arrêtant la croissance de l’herbe, diminue un peu la quantité de lait dont il dispose ; mais alors le fromage se vend plus cher, et l’équilibre se rétablit.

La fabrication du fromage de Hervé n’exige point, comme celle du parmesan, ces vastes exploitations et ces grands troupeaux de bêtes à cornes qu’on rencontre dans les gras pâturages qui bordent le Pô. Ici les fermes n’ont généralement pas plus de 9 ou 10 hectares. Quelques-unes en comptent bien une vingtaine ; mais elles sont formées alors de la réunion de deux métairies. Celles qui ont de bons prés entretiennent douze ou treize vaches à lait, soit un peu plus d’une tête par hectare. Dès que le printemps donne de l’activité